vendredi 5 septembre 2014

La Chute des princes

Robert Goolrick, La chute des princes, éds Anne Carrière

Mon coup de coeur :
Je ne suis pas un mythomane (...) Je sais quel métier j'exerce et quelle est ma place dans ce monde, c'est-à-dire assez bas dans le classement des personnalités les plus glamours du magasine People. Mais j'ai encore des désirs. J'aspire aux choses que je possédais dans une autre vie. Je me désole de les avoir sacrifiées. Je m'en veux en permanence d'avoir tout foutu en l'air ".
La Chute des princes commence par l'histoire d'une déchéance, celle d'un prince de Wall Street arrogant, claquant son fric dans des soirées alcool et coke et se croyant intouchable mais qui va finalement perdre son travail et son train de vie aussi rapidement que le temps mis pour le conquérir. Le récit se poursuit alors avec l'histoire des années sida dans un New York glauque où seule la beauté des corps -qu'ils soient masculins ou féminins- comptent. Le narrateur nous invite alors à le suivre lors de ces allers/retours entre son passé flamboyant et son présent médiocre fait de visites d'appartements qu'il ne pourra plus jamais posséder ou de fêtes d'anniversaire auprès d'une femme qu'il n'a plus et du fils qui n'a jamais vu le jour. A la frénésie de sa vie passée succède l'humilité d'une vie de libraire logeant dans un vieux studio acheté lorsqu'il était étudiant.
Dans la première partie du récit (la plus importante), notre prince raconte cette époque fugace et désormais révolue où " on claquait tout ce qu'on veut ". Puis chapitre après chapitre le narrateur montre le versant négatif de son histoire. Ainsi nous assistons à la chute de ce loup et de ses congénères dans un New-York convulsif et écoeurant. Les personnages sont anti-pathiques, arrogants, déconnectés uniquement en phase avec l'univers socio-économique dans lequel ils évoluent. Un univers où il est mal vu de succomber d'un arrêt cardiaque au bureau, de ne pas être viril et où il est impardonnable d'être séropositif. A cette époque -c'est-à-dire au début de l'épidémie- la peur justifiait tous les comportements de rejet.
Rien ne nous fait rêver dans cette vie d'excès et d'invulnérabilité apparente, que ce soit sa vie sentimentale ou professionnelle. 
Goolrick possède un don certain : celui de rendre palpable une époque d'autant plus aisément qu'elle est à la dérive. Avec son personnage antipathique dans les moments de joie ou de détresse et une époque rythmée par les fêtes, les overdoses et les suicides, La Chute des Princes convoque chez le lecteur un ensemble d'images liées à la décadence. Tout dans la vie de cette ancienne figure de Wall Street sent l'excès et l'écoeurement. Mais tout excès à ses conséquences, et notre narrateur va vite déchanté. Dès les premières lignes du roman, sa chute est annoncée. Au fil des pages, elle est même précédée par celle de ses "connaissances" qui succombent à des attaques cardiaques ou dont on découvre le corps inerte dans un vomi sur des draps de soie. Malgré le stress de plus en plus pesant et des signes de plus en plus annonciateurs, notre personnage court consciemment à sa chute... pour finalement s'en relever. Une fois encore, Robert Goolrick écrit sur la souffrance, l'inaltérabilité d'un temps passé qui continue à exister dans l'esprit de ses personnages. Car, La chute des princes évoque autant la déchéance d'un homme qui a voulu vivre vite et fort que sa lente résurrection ailleurs dans d'autres sphères avec d'autres connaissances.

La Chute des princes c'est avant tout l'histoire d'un homme qui raconte avec autant de lucidité et de franchise son ascension et sa déchéance. J'ai été captivée par le rythme du récit et par sa construction binaire qui donnent du peps à cette intrigue très années 1980. Au cours de cette lecture, je n'ai cessée d'avoir hâte de compendre comment le narrateur avait flambé sa vie et comment il arrivait in fine à dépasser ses souvenirs et ses remords. J'ai également aimé la façon dont il assume ses excès passés et ses délires actuels.Chaque phrase est un uppercut. Chaque ligne nous dévoile un tentative de résurrection qui ne va pas sans sacrifice. Robert Goolrick signe encore une fois le roman d'une déchéance mais ici elle est annoncée et assumée d'emblée. Comme dans chacun de ses récits, il excelle dans l'art de peindre une époque -avec ses travers et les valeurs qu'elle véhicule- et de dresser un portrait complexe de ses personnages. Roman après roman, Goolrick tisse une oeuvre cohérente, puissante et d'une beauté foudroyante.



L'auteur :
Après des études à l’université à Baltimore, alors qu'il hésite entre débuter une carrière d’acteur ou de peintre, Robert Goolrick part en Europe où il commence à écrire pour son plaisir. Pour des questions financières notamment (ses parents le déshéritent), il revient à New York travailler dans une agence  publicitaire de laquelle il se fait licencier à l'âge de 50 ans.
En 2009, il publie son premier roman Une femme simple et honnête (éds Anne Carrière puis Pocket). Ce livre va faire l’objet d’une adaptation cinématographique par le réalisateur David Yates.
Robert Goolrick publie ensuite un récit autobiographique Féroces et Arrive un vagabond (éds Anne Carrière) distingué en 2013 par le Grand Prix des lectrices ELLE.

2 commentaires :

  1. J'avais lu suite à ta chronique Arrive un vagabond ( enfin six mois plus tard) et j'avais bien aimé. Je note celui-ci. Je me laisserai surement tenter.

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  2. AH merci ! Ici Goolrick dépeint un autre univers et une autre ambiance mais il a un tel sens de la narration que je plonge systématiquement dans chacun de ses romans. N'hésite pas à revenir pour partager ton avis quel qu'il soit !

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