Sybille Grimbert, le fils de Sam Green, éds Anne Carrière
Mon coup de coeur :
A l'aube d'une vie faite de procès, d'insultes et de honte, le fils de Sam Green -le plus grand escroc du monde- ressasse, le temps d'une nuit, son passé cherchant ainsi à savoir quand et comment il a compris l'arnaque paternelle et à quel moment sa vie aurait pu prendre un autre virage.
De par sa naissance, il a grandi dans une sphère très privée où il suffisait qu'il énonce son patronyme pour que toutes les portes lui soient ouvertes. Et pourtant, ce fils a longtemps souffert de ce privilège qu'il considérait comme un traquenard qui l'empêchait d'être lui-même et qui faussait le regard que les autres portaient sur lui. Lorsque commence le récit le mal a non seulement déjà été fait mais l'arnaque de son père est à la une de tous les médias du monde. Le roi a perdu son royaume et a chu dans une prison loin de l'agitation extérieure et c'est sur son fils que rejailli la haine des autres. Il a beau se défendre d'être innocent et de ne s'être occupé que de la partie légale des affaires de Sam Green, à quel point est-il réellement resté en dehors des magouilles paternelles ? Sa vie aurait elle été tout autre s'il n'avait pas grandi avec l'idée qu'il était l'héritier du "roi de Wall Street" ? C'est ce à quoi tente de répondre le récit.
En 184 pages, Sibylle Grimbert fait un portrait très nuancé de ce fils qui a parfois douté de son père mais qui s'est finalement laissé convaincre de son honnêteté. Tout au long du roman, nous pénétrons dans l'intimité de cet homme si peu sûr de lui, nous sommes littéralement dans sa tête et éprouvons ses doutes et ses espoirs. Avec les procès à venir, ce fils ne cherche pas à maintenir un niveau de vie que les arnaques de son pères et la malveillance de sa mère lui ont permis d'atteindre mais à officialiser un statut de victime -de toute première victime- qu'il réclame vainement : "Je leur ai fait confiance, et cette confiance que moi, son fils, j'ai éprouvé pour lui est exactement la même que celle qu'ont ressentie tous ceux qu'il a perdus. Il n'y a aucune différence entre eux et moi. (...) La confiance était le carburant de cette inflation, sans elle tout se serait rabougri, rétréci, le monde serait devenu aride, plat et desséché comme le désert."
En 184 pages, Sibylle Grimbert fait un portrait très nuancé de ce fils qui a parfois douté de son père mais qui s'est finalement laissé convaincre de son honnêteté. Tout au long du roman, nous pénétrons dans l'intimité de cet homme si peu sûr de lui, nous sommes littéralement dans sa tête et éprouvons ses doutes et ses espoirs. Avec les procès à venir, ce fils ne cherche pas à maintenir un niveau de vie que les arnaques de son pères et la malveillance de sa mère lui ont permis d'atteindre mais à officialiser un statut de victime -de toute première victime- qu'il réclame vainement : "Je leur ai fait confiance, et cette confiance que moi, son fils, j'ai éprouvé pour lui est exactement la même que celle qu'ont ressentie tous ceux qu'il a perdus. Il n'y a aucune différence entre eux et moi. (...) La confiance était le carburant de cette inflation, sans elle tout se serait rabougri, rétréci, le monde serait devenu aride, plat et desséché comme le désert."
Et pourtant si les fraudes se sont faites à son insu, est-il si innocent que cela ? Pourquoi a t-il enfui les doutes qui l'ont pourtant assailli de nombreuses fois ? Cet homme qui n’a jamais eu à se battre pour obtenir quelque chose doit soudainement convaincre le monde entier de son innocence. Le hic, c'est que cette tâche est impossible à mener à bien tant son père cristallise la haine de tout le monde : «Tout dans cette histoire est anormal, en conséquence je n’ai aucune chance d’être cru. J’arrive trop tard, les gens ont avalé leur dose en matière d’étrangeté, une bouchée de plus et ils exploseraient ; la bouchée du fils qui n’a rien compris paraît trop invraisemblable […].» Comment faire comprendre les liens complexes qu'il entretenait avec son père, «ce type qui considérait qu’il me louait un nom de famille dont lui seul était propriétaire comme il l’aurait été d’une marque». Et pourtant, il y a essayé un temps de fuir l'emprise de ce père, être quelqu'un d'autre que le fils de Sam Green mais il n'ai jamais su saisir les occasions d'échapper à l'emprise paternelle.
Si les états d'âme et le comportement de ce fils est au centre de ce récit, l'auteur peint les portraits d'hommes et de femmes ayant tous une part de responsabilité soit sans le bon fonctionnement de l'escroquerie soit dans son démantèlement. Il y a certes le mystérieux et mutique self-made-man Sam Green autour duquel vivotait une véritable cour et dont on se demande a-posteriori à quoi il passait ses journées puisqu'il ne plaçait rien nulle part et qui a toujours refusé de profiter pleinement de son argent et de son influence alors qu'il avait inventé un système de profit qui lui aurait permis de vivre de manière encore plus grandiose car "A quoi cela lui aurait-il servi de gagner tant d’argent pour se créer une vie impossible à supporter, dans la peau de quelqu’un qui n’était pas lui ? Ne sommes-nous pas tous ainsi, voulant rester nous-mêmes mais en plus riches, en plus amoureux, en plus jeunes, en plus attrayants ?» ; mais aussi Mme Green, femme vénale détestée par son fils car elle ne faisait que profiter passivement d'un système certes illégal mais ingénieux; leur fils véritable moteur du récit, les femmes qu'il a aimées et perdues à cause de son incapacité à s'émanciper de sa famille; Monsieur Bendover homme d'affaire peu doté de jugeotte et véritable bombe à retardement ou encore Marianne Penrose cette Cassandre qui évoquera publiquement mais vainement ses doutes sur le système Sam Green des années avant que l'affaire n'éclate.
Tour à tour victime, complice ou coupable, ce fils est le fil conducteur de ce récit qui démonte progressivement les mécanismes qui ont permis la supercherie tout autant qu'il dévoile les motivations (in)conscientes des différents personnages. Du choix du titre au développement de l'intrigue, l'ensemble du récit s'apparente à une tragédie grecque où chaque personnage est obligé de suivre une partition qui lui échappe, une tragédie dans laquelle le lecteur assiste impuissant et curieux au Fatum qui s'abat sur eux, les emprisonnant ainsi dans un rôle préétabli : "Je n'ai pas vécu mon existence, c'est le sentiment le plus vertigineux que je connaisse. On m'en a donné une autre. Je ne l'ai pas ratée, je ne suis pas passé à côté, je n'ai pas fait un mauvais choix fatal, non, j'ai été placé à l'intérieur d'une histoire et d'un corps fictifs." Toute la vie de Sam Green est un leurre, sa vie de jeune héritier était bidon dès sa naissance. Alors comment reprendre sa vie en main -ne serait ce que l'espace de quelques minutes/heures/jours- si ce n'est en étant complice de la chute de l'empire Green.
Librement inspiré de l'affaire Madoff, ce récit ne donne aucune réponse évidente quant à la culpabilité de ce fils. Il évite tout manichéisme ce que j'apprécie forcément. Tous les personnages cités ont une part de responsabilité : Sam Green pour avoir monté cette combine et pour ne pas avoir su/pu y mettre un terme, sa femme pour avoir allègrement profité du système, leur fils pour avoir fait l'autruche avant de précipiter leur chute en refusant d'investir l'argent d'Isabella -la femme qu'il aime depuis peu-, cette même Isabelle qui propagea les doutes de ce dernier auprès du plus important client du Fond Green et enfin ce monsieur Bendover qui s'empressa de retirer son argent et entraînant l'effondrement de la pyramide Green.
Le fils de Sam Green est un récit passionnant sur les relations père/fils qui nous questionne sur les notions de responsabilité et de culpabilité et qui rend subjuguant l'univers de la finance. Plus qu'un cas d'escroquerie, l'affaire Sam Green (Madoff) développe un cas intéressant de psychologie à la fois individuelle et sociale. Si le Fond Green a si bien marché c'est parce que "tout le monde veut croire au miracle" et avoir une part du gâteau surtout si celui-ci est énorme !
Sybille Grimbert livre avec ce roman un étonnant, passionnant et implacable drame familial qu'elle maîtrise d'un bout à l'autre. On y ressent à la fois la haine et l'admiration d'un fils pour son père alors que toute leur vie ils ont été étrangers l'un à l'autre. L'auteur rend habilement la complexité des personnages qui gagnent en épaisseur au fil des pages. Ainsi Sam Green est davantage que le plus grand escroc du monde, il est aussi un homme attaché à ses modestes origines sociales qui n'a jamais voulu ressembler à ses victimes -de riches hommes d'affaire méprisables et facile à duper issus des meilleures universités américaines- mais qui a modelé son propre fils à leur image. Quant à son fils, il évolue de pages en pages passant tour à tour de victime à complice à bourreau jusqu'au retournement de situation finale. Enfin, il y a une certaine fascination à voir que cette arnaque simplissime à monter puisse être à l'origine d'une telle déflagration et de tant de souffrances humaines.
Ce livre a été chroniqué dans le cadre du challenge Famille (rubrique Père/Fils) |
L'auteur :
Née en 1967 à Paris, Sybille Grimbert est une romancière française dont le premier roman est paru en 2000 au éds Stock.
En 2006, elle passe aux éds du Seuil qui publient Une absence totale d'instinct.
Toute une affaire paraît trois ans plus tard aux Éditions Léo Scheer. Ce roman lui permet de renouer avec le succès critique.
Un sixième -Le vent tourne- puis un septième roman -La conquête du monde- paraissent entre janvier 2011 et janvier 2012.
Le Fils de Sam Green est son huitième roman, le premier aux éds Anne Carrière. Il est sorti lors de la rentrée littéraire 2013.
En 2006, elle passe aux éds du Seuil qui publient Une absence totale d'instinct.
Toute une affaire paraît trois ans plus tard aux Éditions Léo Scheer. Ce roman lui permet de renouer avec le succès critique.
Un sixième -Le vent tourne- puis un septième roman -La conquête du monde- paraissent entre janvier 2011 et janvier 2012.
Le Fils de Sam Green est son huitième roman, le premier aux éds Anne Carrière. Il est sorti lors de la rentrée littéraire 2013.
Et plus si affinités :
Voir Blue Jasmine de Woody Allen avec la sublime Cate Blanchett. Ce film narre l'histoire de la femme d'un grand escroc du monde (autre Bernard Madoff/Sam Green) qui -totalement ruinée et dépressive- tente de recommencer une vie ailleurs auprès de sa jeune soeur, elle qui n' a construit sa vie que pour être sous le regard admiratif des autres :
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire