dimanche 21 mai 2017

Profanes

Jeanne Benameur, Profanes, Actes Sud

Mon coup de coeur :
Brisé par le décès de sa fille dont il se sent responsable, Octave -un grand chirurgien à la retraite- vit seul dans son immense demeure. Afin de surmonter ce drame qui a eu raison de son mariage et de sa vie sociale, il embauche quatre personnes qui devront veiller sur lui à tour de rôle en suivant un planning bien organisé.
Successivement Hélène -meurtrie par une histoire d'amour passée, Marc -hanté par des souvenirs traumatisants de guerres en Afrique, Béatrice -une jeune infirmière trop sensible pour pouvoir faire face à la disparition de son frère aîné et Yolande -merveilleuse femme dont la générosité la pousse à accueillir chez elle une future mère- vont par leur comportement et leur humanité redonner à Octave le goût de vivre. "J'ai besoin d'autres êtres humains, comme moi, doutant, s'égarant, pour m'approcher de ce que c'est que la vie". Progressivement, la vaste maison devient pour chacun des protagonistes un havre de paix tout autant qu'un lieu de reconstruction. Jeanne Benameur nous livre un portrait d'hommes et de femmes qui -bien que blessés- vont se redonner mutuellement goût à la vie.

Porté par une merveilleuse écriture et des personnages tout autant fragiles qu'altruistes, ce roman précipite tour à tour le lecteur dans l'intimité des cinq personnages qui se débattent tant bien que mal contre leurs démons intérieurs. Il y a beaucoup de bienveillance et d'humanité chez ces "profanes" tout autant que chez le narrateur.


L'auteur :
Jeanne Benameur est une romancière française née en 1952 à Ain M'lila en Algérie d'un père algérien et d'une mère italienne. Elle écrit aussi bien de la littérature jeunesse que de la littérature adulte. Parallèlement à son travail d'écrivain, elle anime régulièrement des ateliers d'écriture.
En tant qu'écrivain, elle se distingue une première fois avec Les Demeurées qui reçoit en 2001 le prix Unicef. Puis, elle reçoit un nouveau prix en 2007, celui du centre du Livre Poitou Charentes pour Laver les ombres. Avec Les insurrections singulières ce sont les prix Paroles d'encre, le prix du Rotary et le prix du Roman d'entreprise qui lui sont attribuée en 2011. Enfin Profanes  reçoit Le grand prix RTL Lire en 2013  et Otages intimes le Prix Libraires en Seine 2016 .

mercredi 17 mai 2017

Dieu et nous seuls pouvons

Michel Folco, Dieu et nous seuls pouvons, éds Seuil


Mon coup de coeur :
Enfant abandonné et recueilli par une famille aveyronnaise, Justinien Trouvé est devenu en grandissant un jeune homme instruit mais repoussant, son nez lui ayant été arraché dès sa naissance. Afin de fuir un avenir tout tracé, celui de devenir moine, il part à l'aventure. Dès lors, sa vie va prendre un tournant inattendu et radical. Injustement accusé de vol, Justinien est condamné aux galères. Cependant son geôlier a d'autres projets pour lui. C'est pourquoi il lui laisse le choix entre effectuer sa peine ou devenir le prochain bourreau du comté pour (ce qui devait être) une unique mission. Voilà comment Justinien  -devenu Justinien Pribac- va malgré lui être le chef fondateur d'une lignée de bourreaux qui affronteront les aléas de l'Histoire tant bien que mal jusqu'au début du XXè siècle.

Captivant, surprenant, drôle et truculent, ce roman nous entraîne dans l'univers des bourreaux aveyronnais avec leur jargon, leur questionnements et la méfiance qu'ils inspirent. Porté par une écriture alerte et drôle et des personnages charismatiques, ce roman nous précipite non seulement dans une saga familiale atypique mais aussi loin de Paris et des beaux métiers nous confrontant alors à des patois, des jargons et des us-et-coutumes étonnants et souvent amusants.

Voici une belle découverte dont je vous conseille vivement la lecture.


L'auteur :
Né à Albi en 1943, Michel Folco a été photographe avant de se consacrer à la littérature.
Dieu et nous seuls pouvons paraît en 1991. Ce premier roman inspirera trois suites :
Un loup est un loup (1995), En avant comme avant ! (2001) et Même le mal se fait bien (2008).

lundi 8 mai 2017

The Girls

Roman américain d'Emma Cline paru à La Table Ronde

Emma Cline, The Girls, éds de La Table ronde (coll° Quai Voltaire)

Mon coup de coeur :
Etats-Unis fin des années 60. Fragilisée par les départs successifs de son père et de son amie d'enfance et par les atermoiements affectives de sa mère, Evie -14 ans- trouve refuge auprès de jeunes filles rencontrées plusieurs fois en ville -dont l'énigmatique et charismatique Suzanne- qu'elle pense libres, indépendantes et fortes "aussi racées et inconscientes que des requins qui fendent l'eau" . Enervée par le comportement infantile et égoïste de sa mère, Evie se détourne délibérément de son quotidien pour rejoindre de plus en plus souvent et de plus en plus longuement les filles dans un ranch abandonné et isolé que dirige le mystérieux et charismatique Russel. Seulement les choses ne sont pas ce qu'elles semblent être et les personnes n'ont plus. Les filles sont soumises, instables et violentes et Russel ne prône un discours de liberté que pour mieux en priver les autres. Inexorablement ces fréquentations l'entraînent dans un univers de débauche, de privation et d'extrême violence.
Bien que devenue adulte et ayant ayant quitté ce monde, Evie ne peut se défaire de cet épisode et oublier qui elle fut alors. Tout comme elle ne peut oublier la belle et sombre Suzanne. Le récit alterne le passé et le présent du personnage pour nous permettre d'appréhender au plus près les rouages de la secte, ses techniques de manipulation et son pouvoir destructeur. Les raisons de cet embrigadement qui semblaient alors si valables semblent désormais futiles. Et pourtant elle ne renie rien. Ce passé fait partie intégrante de la femme solitaire et sans domicile fixe qu'elle est désormais.
Loin de tout voyeurisme et sensationnalisme, Emma Cline nous propose un roman d'une grande finesse psychologique et même sociologique. Les personnages féminins bien que complexes restent accessibles et -contrairement au fait divers- demeurent du début à la fin les éléments principaux de ce récit. Si pour Evie, elles sont les gardiennes d'un monde caché à la vue de tous -"Depuis que j'avais rencontré Suzanne, ma vie avait pris un relief tranchant et mystérieux, qui dévoilait un monde au-delà du monde connu, le passage caché derrière la bibliothèque"- plus globalement, elles sont les révélateurs d'un monde en perdition. Moins que le crime commis par Suzanne au nom de la secte, ce qui importe c'est le parcours d'Evie et ce que son embrigadement nous dit de cette époque et de la place qu'elle accorde aux femmes et surtout aux adolescentes.

Encore une fois, les éds de La Table Ronde nous offre un roman d'apprentissage qui -avec finesse, intelligence et perspicacité- peint tout autant le portrait d'une jeune fille en mal de repères et celui d'une Amérique des années 60 en pleine confusion. Ce brillant récit s'inspire librement du parcours funeste de Charles Manson.


L'auteur :
Emma Cline est née en 1989 en Californie. Elle a étudié dans le Vermont avant de bénéficier du programme d'écriture de l'université Columbia, à Manhattan. En 2014, elle obtient le "Plimpton Prize" grâce à une de ses nouvelles. La même année, elle publie son premier roman, The Girls qui reçoit alors un accueil positif et lui offre un contrat avec la maison d'éditions Random House. Le roman est traduit en 34 langues. En France, il est paru en 2016, publié par les éditions de la Table ronde.