mardi 28 mai 2013

In My Mailbox (1)

photo prise par moi même lors de mon premier grand séjour à Budapest
Créé par Kristi sur son blog littéraire "The story siren" et repris en France par le blog "Lireoumourir" cette page permet à chacun des participants (blogueurs ou lecteurs) de faire connaître les livres qu'il a reçu durant la semaine dans sa boîte aux lettres. Ce peut être des livres reçus, achetés ou empruntés. J'aime cette initiative, c'est pourquoi j'ai décidé d'y participer et de communiquer une fois par semaine (dans la mesure du possible ce sera le vendredi) les livres qui viennent remplir mes étagères. 

Voici donc ma première contribution à cette animation (exceptionnellement rédigée un mardi très tard dans la soirée).
Cette semaine encore j'ai donc acquis de quoi faire davantage écrouler ma bibliothèque.
J'ai acheté :
Des Sabbataires à Barbe-Bleue de Lajos Nyéki aux éditions Asiathèque
Troie d'Yvan Pommaux à L'Ecole des loisirs
J'ai reçu :
Le temps, le temps de Martin Suter chez Christian Bourgois.
La lettre à Helga de Bergsveinn Birgisson chez Zulma.
L'Affaire Eszter Solymosi de Gyula Krudy chez Albin Michel
Chien Pourri de Colas Gutman et Marc Boutavant à l'école des loisirs
J'en profite pour remercier les éditeurs et leurs équipes de m'avoir si gentiment et rapidement fait parvenir ces livres.
J'espère vous faire rapidement un contre-rendu de ces futurs coups de coeur (?) que vous avez d'ailleurs peut-être lus.
En attendant je suis curieuse de savoir quels livres vous venez d'acheter, de recevoir ou d'emprunter. N'hésiter donc pas à me laisser des commentaires.
Merci d'avance.
Lili M






lundi 27 mai 2013

Un petit homme de dos

Richard Morgiève, Un petit homme de dos, éd. Joëlle Losfeld

Mon coup de coeur :
30 ans après la mort de son père, un fils se souvient de lui. Il se rappelle de cet homme beau parleur, charismatique, escroc mais si tendre avec sa femme et ses enfants. Le portrait qu'il esquisse sous nos yeux n'élude aucune des nombreuses facettes de ce père tellement aimé et pourtant pas franchement fréquentable.
" Il nous a toujours dit qu'il a débarqué au Havre en 1938 et qu'il venait de Liverpool, via Brême et Varsovie. D'après lui il était interprète et n'avait d'autre ambition que celle de vivre tranquillement. (...). Toutefois ce sage philosophe, ce Candide n'est pas le personnage que nous avons connu, le bandit merveilleux qui m'a donné la vie. Tout le problème est là."
En 1942, venu de nulle part, un petit homme d'1m68 débarque dans une petite ville ardéchoise. Il se nomme Stéphane Eugerwicz. Lors du bal annuel, il rencontre la sensible et romantique Andrée. Faite pour aimer et être aimée, cette femme -déjà mère d'un petit garçon prénommé Simon- se désespérait de ne pas avoir encore refait sa vie. Avec lui, ce sera le coup de foudre réciproque. Il sera le passeport pour une vie hors du commun.
Ce petit juif polonais va irrémédiablement bouleverser sa vie et celle des personnes qui l'ont approché. Jusqu'à la mort d'Andrée, le couple va s'aimer d'un amour fou, d'une passion qui enivre et emporte tout sur son passage. Elle lui pardonnera tout -même ses infidélités et ses cachotteries- ne souhaitant qu'une seule chose: lui plaire à tout prix.
Excessif, truqueur, débrouillard, Stéphane mène la grande vie mais une vie en marge de la bonne société. Beau parleur et ambitieux, il a pris l'habitude de vivre confortablement. D'abord ce sera durant l'occupation en profitant du marché noir, puis après la Libération il s'installera (grâce à son sens aigu du commerce) comme gérant d'une épicerie fine puis d'une confiserie. L'envoûtant trafiquant devient alors un commerçant sans scrupule. Et pourtant, tous continuent à lui vouer une admiration sans borne notamment ces "traîne-savates" qu'il recrute si facilement. Pourtant le destin va brutalement s'acharner sur lui. Trahi par un soit-disant ami, il perd son commerce et l'opulence qui l'accompagne. Plus grave, Andrée meurt des suites d'un cancer. Vivre sans cette femme tant aimée lui est impossible. Stéphane va finalement se résoudre au suicide.
Au fil des pages, Richard Morgiève révèle que l'on peut être malheureux d'avoir été trop aimé par son père et ne jamais s'en remettre. "Pendant des années, chaque fois que je voyais dans la rue un petit homme avec son imperméable et un parapluie, je pressais le pas quand j'arrivais à sa hauteur je tournais la tête, mais ce n'était pas lui." Ce roman est non seulement une tentative pour lever le mystère qui entoure ce personnage si mystérieux et passionnant mais aussi l'occasion de se retrouver une dernière fois auprès de lui, de ressusciter cet homme dont l'absence n'a jamais pu être comblée.

Un petit homme vu de dos c'est le portrait d'un réfugié polonais arrogant et plein de ressources, un homme à la personnalité surprenante et à l'honnêteté toujours chancelante mais aux ressources inépuisables et qui peut se montrer tout à la fois égoïste, hâbleur, culotté, magouilleur mais aussi attachant et charmeur. C'est aussi le portrait d'un mari qui est mort de ne pas avoir pu survivre à sa femme. Mais ce roman parle non seulement du  manque ressenti par un fils qui a aimé ce père hors norme (au point de ne jamais pouvoir faire son deuil) mais aussi d'exil, d'amour, d'amitié et de trahison

Tout dans le livre témoigne de l'admiration et de la tendresse que l'auteur éprouve encore pour cet homme trop brutalement disparu. Rarement un hommage d'un fils à son père ne m'aura autant chamboulée et passionnée. Ce livre est un uppercut, un roman vibrant d'humanité et d'amour.  Il est devenu un indispensable dans ma bibliothèque personnelle.


L'auteur :
Scénariste, acteur et romancier né à Paris en 1950, Richard Morgiève a beaucoup bourlingué avant de se lancer dans l'écriture. Il auto-édite son premier roman Allez les verts en 1980. Une première fois édité en 1988 Un petit homme de dos est réédité par Joëlle Losfeld en 2006. Ce livre marque un tournant dans la carrière de l'écrivain qui délaisse alors le polar pour des romans intimistes qui témoignent de son enfance chaotique : très tôt orphelin, il perd sa mère à 7 ans et son père se suicide alors qu'il n'en a que 13.

vendredi 24 mai 2013

L'homme qui savait la langue des serpents

éditions Attila
Andrus Kivirähk, L'homme qui savait la langue des serpents, éd. Le Tripode 

Mon coup de coeur :
Voici un roman qui tient admirablement les promesses que laisse entendre une si belle couverture au titre enchanteur.
Dans un moyen-âge fantasmé, Leemet -dernier représentant du peuple de la forêt- se rappelle les événements qui ont marqué sa vie. De ses souvenirs surgissent des situations incroyables et des personnages sortis tout droit des contes pour enfants. Ainsi fait on la connaissance de son oncle spécialiste "es" langue des serpents, d'un homme en perpétuelle transmutation à la fois humain et lichens, d'un grand-père cul-de-jatte qui tue ses ennemis et ébouillante leurs os afin d'en faire un deltaplane, d'Ülgas un vieux sorcier intolérant, buté et maléfique, de Johannes un villageois qui l'est tout autant, de sa fille qui s'amourache des loups-garous, d'ours espiègles et charmeurs plus proches d'oursons en peluche que de dangereux plantigrades et dont l'un deviendra son beau-frère, d'une merveilleuse salamandre guerrière qui fut jadis le dernier rempart contre l'invasion germanique et finalement contre l'uniformisation de nos sociétés, d'anthropopithèques apprivoisant un pou géant, d'un gigantesque poisson prêt à retourner dans les profondeurs de la mer afin de profiter d'un sommeil bien mérité... Les raisons de s'étonner et de s'émerveiller au cours de cette lecture ne manquent donc pas. Mais si ce récit commence sagement il va gagner au fil des pages en rebondissements et en tension dramatique.
Bien que né au village, Leemet a grandi dans la forêt selon les valeurs défendues par ces aïeux. Cette forêt était alors un lieu de vie et de bonheur car les hommes vivaient en totale harmonie avec la nature et les animaux et parlaient une langue comprise partout et par tous : celle des serpents. Il n'était donc par rare qu'humains et serpents sympathisent. Hélas l'arrivée des germains et la modernisation forcée qu'ils vont mettre en oeuvre vont porter un coup fatal à ce mode de vie ancestral. Au fil du temps, Leemet voit la forêt se dépeupler, le village grandir, les us et coutumes se perdre. Même l'histoire de l'illustre salamandre devient progressivement une fable pour enfants. Le jeune homme vit alors cette occidentalisation comme une agression. Pourtant il admet de lui-même évoluer dans un univers passéiste et ne plus supporter le poids des traditions qui finalement l'accable. Finalement aucun des deux mondes ne trouve pleinement grâce à ses yeux. Tous les deux ont leurs contraintes et surtout leurs extrémistes (Ülgas et Tammet d'un côté, Johannes et de nombreux villageois de l'autre). La religion tout comme les superstitions sylvicoles s'avèrent souvent mortellement dangereuses. Quand elles ne tuent pas, ces deux types de croyances emprisonnent les individus et annihilent leur libre arbitre. "Il y en a qui croient aux génies et fréquentent les bois sacrés et puis d'autres qui croient en Jésus et qui vont à l'église. C'est juste une question de mode. Il n'y a rien d'utile à tirer de tous ces dieux, c'est comme des broches et des perles, c'est pour faire joli". Le narrateur n'hésite pas à décrire l'aspect artificiel de ces mondes en des termes modernes. C'est ainsi que les moines deviennent des stars et Jésus Christ une idole.
Progressivement nous assistons à la mort d'un univers merveilleux au profit d'un monde terne fondé sur la bêtise, l'exploitation et le conformisme. Un monde dans lequel avoir été la maîtresse d'une nuit d'un chevalier ou devenir un de leurs serviteurs est gratifiant : "-Tu rêves d'être valet ?(...) -Bien sûr ! Ce serait super ! Pouvoir vivre dans un château et parler avec des chevaliers qui viennent de l'étranger. Mais c'est très difficile d'y arriver : tout le monde veut devenir valet mais ils en prennent rarement parmi leurs paysans, ils préfèrent les importer : nous sommes trop nigauds et nous risquerions de leur faire honte lorsqu'ils sont en fine compagnie."
Avec le temps Leemet va finalement apprendre à accepter sa condition de dernier de sa lignée et devenir ainsi l'ultime témoin et gardien d'un monde sauvagement éradiqué.

Au-delà de son aspect folklorique et fantastique, L'homme qui savait la langue des serpents raconte l'émergence et l'uniformisation d'un monde pourtant fondé sur la bêtise et l'intolérance et qui encourage les hommes à se dominer ou à s'entre-tuer les uns les autres. Il raconte aussi le désenchantement de celui qui a assisté impuissant à l'apparition radicale de ce mode de vie. Toutefois ce récit n'est pas sans humour et certaines situations sont savoureuses car l'auteur s'amuse non seulement avec les références faites aux récits classiques et populaires mais aussi avec les personnages, les anachronismes et les registres linguistiques. Nous avons donc un récit iconoclaste, irrévérencieux dont la puissance dramatique est parfaitement maîtrisée. Un roman captivant qui emporte et intrigue. Nous avons à faire à un romancier qui nous bouscule par sa virtuosité et son culot. Il nous offre un extraordinaire livre/pamphlet qui nous interroge sur notre rapport au monde tout en nous divertissant. Les mots me manquent pour dire à quel point j'ai été éblouie par ce roman qui m'a totalement saisie.

C'est un récit merveilleux et ce dans tous les sens du terme. D'autant plus qu'il est admirablement mis en valeur par le travail fait par les deux éditeurs d'Attila.


L'auteur :
Né en 1970 à Talinn, Andrus Kivirähk est devenu un véritable phénomène littéraire grâce à ce livre. Egalement journaliste et essayiste, il est auteur de pièces de théâtre et de nouvelles. Par deux fois, il a reçu le prix Frideberg Tuglas et celui de la Fondation estonienne pour la culture.

Et plus si affinités :
Drôle de bestiole cette salamandre qui est tout à la fois ce batracien à l'apparence de lézard géant et cet animal fantasmagorique. C'est bien évidemment de celle-ci dont j'ai envie de parler. Celle que de nombreuses légendes entourent et qui a inspiré philosophes, historiens, écrivains ou hommes d'état. Cet animal -symbole de feu et de pureté- est très présente dans les bestiaires médiévaux européens dans lesquelles il est synonyme de chasteté et d'indestructibilité. Selon les grecs la salamandre pouvait non seulement survivre aux flammes mais encore les éteindre au seul contact de sa peau. Elle pouvait aussi tuer un homme avec une seule et unique goutte de son venin et lorsqu'elle tombait dans un puits ou dans n'importe quelle étendu d'eau elle les empoisonnait jusqu'à la source. Selon d'autres croyances, elle symbolise la foi qui ne peut être détruite. Quand Pline l'évoque c'est pour faire d'elle un reptile quadrupède et ailé. Pour les alchimistes elle symbolise le feu, élément essentiel à la transformation du plomb en or et François 1er a fait de cet animal son emblème accompagné de la devise suivante : " nustrico et extinguo "(" je nourris et j'éteins "). Enfin Kivirähk fait d'elle l'ultime rempart contre les envahisseurs germains et l'objet de tous les espoirs pour un peuple en train de disparaître.

les salamandres légendaires
La Salamandre blason de François 1er (image mise en ligne par jack35.files.wordpress.com)


Les ombres du yali

éditions Phébus

Suat Derwish, Les Ombres du Yali, éd. Phébus

Mon coup de coeur :
Ahmet attend fiévreusement sa femme à leur domicile. Mais ce soir Célilé (Djélilé) ne viendra pas. Au contraire, elle fera intervenir son amant afin qu'il trouve un arrangement avec ce mari et qu'il mette un terme définitif à ce mariage qui n'a pas tenu ses promesses. Pourtant un an après cet événement, cette femme va prendre la décision de quitter son ancien amant Dermitach. Entre ses deux séparations elle invite le lecteur à prendre connaissance de son enfance particulière ayant grandi dans un yali (une vaste demeure) sur les rives du Bosphore élevée par son grand-mère Tchechmiahu et une ribambelle de domestiques. " Impossible de connaître Célilé si l'on avait pas connu ce yali et les ombres qui l'avaient habités."
Célilé nous conte sa jeunesse solitaire auprès de cette vieille femme dépassée et d'adultes trop préoccupés à vaquer à leurs occupations ou à dépouiller la famille de ses nombreux biens. Pourtant bien qu'en ruine, ce palais est pour elle digne de celui des 1001 nuits car il correspond à une enfance insouciante et confortable presque hors du temps auprès d'une grand-mère bienveillante et naïve. Cependant après la splendeur vient le temps de la déchéance qui accompagne les mutations que vit cette Empire lui aussi en train de péricliter.
A la mort de son aïeul, seule et ruinée la jeune femme est obligée de quitter sa demeure et de commencer une vie à laquelle elle n'était pas préparée. Elle a rencontré Ahmet et s'est mariée avec lui espérant retrouver une vie faite d'amour et de confort. Mais au fil des années elle s'est sentie de plus et plus absente de ce couple. Après 11 ans de mariage cet homme est devenu un étranger pour elle. Issu d'un milieu modeste, son mari a fait fortune grâce à sa force de travail. Mais en contrepartie, il a fini par négliger sa femme descendante des grands vizirs et dont le grand-père était "velittin pacha, le bras droit du sultan Abd'ul Hamit II ."
De ces réminiscences faites de bonheurs mais aussi de souffrances et de nostalgie, Célilé va puiser la force de quitter les deux hommes qu'elle a pourtant aimés mais qui sont devenus avec le temps matérialistes, calculateurs et si peu attentionnés. Désormais elle sait que la vraie vie va commencer à savoir celle d'une femme indépendante capable de subvenir à ses besoins et à ceux de son enfant.

Voici un très beau récit sur la chute de l'Empire ottoman, la condition des femmes, l'enfance perdue et les amours déçus écrit par une grande figure de la littérature féministe turque. Ce livre m'a émue par sa subtilité et par sa puissance narrative. En peu de mots, l'auteur a su composer non seulement un récit intimiste poignant et riche de références historiques mais aussi de très beaux portraits de femmes.


mis en ligne par www.fredak.com
Photographie d'un yali (mise en ligne par www.fredak.com)

L'auteur :
Auteur et journaliste née en Turquie en 1905, Suat Derwish a longtemps séjourné en France. C'est pourquoi plusieurs de ses romans dont Les Ombres du Yali ont directement été écrits en français.

Et plus si affinités:
Le terme " yali " désigne une vaste demeure bâtie sur les rives du Bosphore à Istanbul et utilisée comme résidence (principale ou secondaire) par les élites et les classes les plus aisées. Ces palais permettaient d'ériger aux yeux de tous la beauté de l'architecture ottomane et la puissance de ses propriétaires. Laissés à l'abandon depuis l'effondrement de l'Empire ottoman, ces demeures aux vastes pièces restèrent longtemps ouvertes aux quatre vents. C'est ce contexte politique et économique qu'explore l'intrigue de ce roman.

image mise en ligne par www.linternaute.com
Image d'un yali en ruine (mise en ligne par www.linternaute.com)

Et toujours plus :
Le Bosphore est le détroit qui relie la Mer Noire à la Mer de Marmara. Long de 42 km, il constitue la frontière naturelle entre les continents européen et asiatique et fut durant des siècles un enjeu géostratégique capital notamment entre les empires ottoman et britannique. Il conserve de nombreux charmes avec ces fameux yalis, ses bâtiments religieux ou ses villages de pêcheurs.

http://www.istanbul-city.fr/guide-istanbul/mosquee/mosquee-ortakoy/
Photographie de la mosquée d'Ortaköy sur les rives du Bosphore (image mise en ligne par www.istanbul-city.fr)