dimanche 6 octobre 2013

Les derniers jours de Smokey Nelson

pour le bruit des livres
Catherine Mavrikakis,  Les derniers jours de Smokey Nelson, éds Sabine Wespieser

Mon coup de coeur :
Pénitencier de Charlestown près d'Atlanta, Smokey Nelson attend depuis 19 ans dans le couloir de la mort l'application de sa sentence pour avoir perpétré le meurtre d'un couple de blancs et de leurs deux enfants dans un motel des environs. Ce sordide fait divers a scellé son destin ainsi que celui de trois autres personnes : celui de Sydney Blanchard un afro-américain qui fut un temps accusé des meurtres avant que le témoignage de Pearl Watanabe ne l'innocente; celui de cette américaine d'origine hawaïenne qui était au moment des faits employée au motel et qui a fait la sinistre découverte des corps; enfin celui de Ray Ryan inconsolable depuis la mort de Sam sa fille chérie qu'il a élévée dans la foi pensant que cela les protégerait tous.
Dans ce roman choral, chaque personnage prend tour à tour la parole pour dire son effroi et le marasme causé par cet effroyable quadruple meurtre ainsi que les sentiments qui les submergent au moment où -pour des raisons différentes- ils doivent tous retourner dans la ville maudite.
Sidney est le premier à faire entendre sa voix, une voix grave, un soliloque grâce auquel il fait le bilan de sa vie. Noir et pauvre, il a pourtant toujours cru en sa bonne étoile. Né le même jour que Jimmy Hendricks il ne pouvait s'imaginer autre chose. Agé maintenant de 40 ans, il s'apprête à rejoindre -dans sa lincoln blanche et accompagnée de sa chienne Betsy- ses parents restés à Atlanta malgré Katrina.
C'est alors la douce voix de Pearl qui intervient délicatement pour annoncer son imminent départ de Hawaï où elle y a reconstruit sa vie obtenant même un poste à responsabilités dans un grand motel. Elle va séjourner quelque temps à Atlanta afin d'y retrouver sa fille Tamara. Cette dernière y a fait sa vie de femme mariée et de mère de famille et se fait une joie de revoir sa mère bien qu'elle prenne pas pleinement la mesure de l'angoisse qu'y étreint sa mère. "Et voilà dix-neuf ans que Tamara se comportait comme si rien n'avait eu lieu, comme si sa mère lui appartenait encore, comme si sa mère na faisait pas partie des assassinés du 20 octobre 1989 ! Pearl n'était jamais revenue de ce matin magnifique de l'automne 1989. Elle n'était jamais sortie de la chambre 55 du motel Fairbanks dans lequel elle avait découvert les corps morts, mutilés."
C'est enfin la colère de Ray Ryan qui s'exprime bruyamment alors qu'il attend avec impatience et d'une certaine manière avec joie et soulagement l'exécution de Smokey Nelson : " Demain, à cette heure-ci, tu le sais, l'impie sera mort." Homme très pieu, il voit dans cet acte le châtiment divin pour avoir retiré la vie à quatre êtres innocent et pour avoir bousiller d' autres dont la sienne et celle de sa famille.

A travers le portrait et le parcours de ces quatre personnages, Catherine Mavrikakis dépeint une Amérique sans repère ni valeur et des êtres désenchantés et profondément solitaires. Elle nous offre une formidable fresque doublée d'une réflexion sur nos sociétés ultra-violentes mais aussi sur la vengeance, le racisme et sur la peine de mort. Chacune des voix qu'elle donne à entendre est puissante et singulière et aucune n'empiète sur les autres.

Voici un roman que je n'ai pas voulu lâcher et que je ne suis pas prête d'oublier. Ce fut un de mes grands coups de coeur de la rentrée précédente.


L'auteur :
Catherine Mavrikakis est un auteur québécois d'origine française et grecque. Parallèlement à son métier d'écrivain, elle enseigne les littératures francophones à l'Université de Montréal. Depuis ses débuts en 2000, elle a publié une pièce de théâtre et cinq romans dont Le ciel de Bay City (éds Sabine Wespieser 2009). 

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