vendredi 25 octobre 2013

l'invention de nos vies

Karine Tuil, L'invention de nos vies, éds Grasset

Ma chronique :
Ils sont trois jeunes gens d'une petite quarantaine d'années Samir d'un côté et le couple formé par Samuel et Nina de l'autre. Ils se sont rencontrés pendant leurs études de droit mais un des trois n'a plus donné signe de vie durant 20 ans.
Samuel, fils d'intellectuels juifs ayant trouvé la mort dans un accident de voiture alors qu'il n'avait que 20 ans, est un écrivain sans le sou qui pour vivre occupe un poste d'éducateur social dans une banlieue difficile.
La très belle et séduisante Nina sa compagne depuis un chantage au suicide alors qu'elle s'apprêtait à la quitter pour Samir leur ami commun.
Enfin le séducteur et autoritaire Samir Tahar dit Sam, fils d'immigrés tunisiens, qui est devenu aux Etats-Unis l'un des avocats les plus brillants et les plus renommés. Il a fait un beau mariage en s'unissant avec la fille d'un célébrissime homme d'affaire juif. Si cet homme vit sans complexe ses relations extra-conjugales avec des midinettes écervelées il vit avec la peur qu'un jour son mensonge soit révélé. Obsédé depuis son plus jeune âge par le besoin de réussir mais persuadé de ne pouvoir réussir dans ce monde de requins qu'en gommant ses origines arabes, il a emprunté des éléments de la vie de son ancien camarade Samuel et à raccourci sont prénom en Sam afin que le subterfuge soit plus efficace. Si son talent, ses facultés intellectuelles et sa force de travail lui sont propres, il semble devoir sa reconnaissance sociale qu'à cette omission qui désormais l'emprisonne dans une vie fait de mensonges.
Mais une apparition malencontreuse à la télévision retransmise partout dans le monde va motiver ses retrouvailles avec Samuel et Nina d'une part et de l'autre avec sa mère et son demi-frère François dont la blondeur jure avec le teint mâte de sa propre carnation. Ses différentes réapparitions vont inexorablement précipiter sa perte. Ainsi nous avons suivre parallèlement les deux personnages masculins. Le parcours de l'un répondant à celui de l'autre. Alors que Samuel tombe dans l'alcoolisme et la dépression, Samir retrouve une joie de vivre auprès de Nina la seule femme qu'il aime et à qui il n'a pas besoin de se dissimuler. Cependant la roue tourne et dans la dernière partie du livre, nous assistons à la chute vertigineuse du charismatique Samir tandis que son double Samuel "un médiocre que l'on regarde sans admiration" va progressivement gagner son statut d'écrivain à succès en se nourrissant des malheurs de l'autre Sam.

Oui ! le roman est haletant -surtout la première partie- et il s'agit réellement un "page-turner" avec une ponctuation et un phrasé qui traduisent la violence qu'il voudrait bien dénoncer.
Oui ! le sujet est intéressant, la mécanique narrative générale est efficace et les questions sous-jacentes passionnantes.
Oui ! j'aime cette ingénieuse astuce qui consiste à consacrer les notes de bas de page à des biographies fictives.
Seulement certaines situations et certains propos m'ont dérangé !
Je n'aime pas ce qui motive les personnages : le communautarisme, la soif de gloire, la haine, l'envie ou la vengeance. Mais surtout je n'aime pas la façon dont ces motivations sont narrées et exploitées. J'y ai trouvé de la complaisance dans la manière de les avancer. Pourquoi avoir justifié la carrière de Samir par successivement un viol collectif puis une méfiance envers la reconnaissance du travail et du talent ?
Je n'aime pas l'idée qu'un bon écrivain c'est celui qui explose les ventes. La plupart d'entre nous savons qu'il est des auteurs magnifiques et des chefs-d'oeuvre qui ne rencontrent pas ou peu le public, en tout cas moins que certaines têtes d'affiche au talent discutable !
Enfin je n'aime pas la façon dont le récit s'emballe/s'empalle sur des thèmes obscènes et sensationnels . 
Si l'auteur souhaitait faire de ce livre le roman sur l'identité, au fil des pages il s'est mis à enfoncer des portes ouvertes, à accumuler de nombreux clichés et à coller avec ce qu'il y a de malsain dans l'actualité. De fait, elle assimile son roman à un fourre tout dans lequel elle parle de la même manière de la passion amoureuse, de la société qui broie les individus après les avoir aidé à réaliser leurs ambitions, de la violence des cités, de la revanche sociale, des communautarismes, d'un viol collectif, des jihadistes...
Dommage car son roman commençait bien et j'aurais tant aimé qu'il reste sur cette ligne narrative : parler d'un homme au charme carnassier, à la volonté de fer, un homme sans scrupule qui piétine tout ce qui peut contrecarrer ses ambitions personnelles et professionnelles. Un personnage qui aurait su totalement et irréversiblement nier son passé. Un monstre plutôt qu'un homme mi-coupable mi-victime et qui suscite de la compassion alors que j'aurais adoré le haïr. Ce désir de le dédouaner dessert le récit plus qu'il ne l'enrichi. De cette lecture il en ressort une impression d'avoir pataugé dans de l'eau tiède alors que je m'attendais à plonger dans une eau glacée ! Malgré les accumulations de thèmes et de problématiques qu'il propose, le récit est en rien subtil. Nulle part je n'ai ressenti une envie de dénoncer cette société mercantile et violente; partout j'ai lu une volonté de s'en servir.

Au final, L'invention de nos vies me laisse une mauvaise impression. Ce roman dont je l'ai lu la première moitié facilement et même par moments avec un certain plaisir a fini par me faire grimacer et, en fin de lecture, il me laisse même un arrière- goût désagréable. A force de vouloir faire résonner son récit avec ce qu'il y a de plus brûlant et scandaleux dans l'actualité, Karine Tuil s'est perdue dans le sensationnel et fait de son roman un catalogage de profils psychologiques et de sujets. Tout cela m'a empêchée de profiter pleinement de son talent de narratrice car Karine Tuil a du style. Et je vais guetter sa prochaine publication afin de me confronter une nouvelle fois à son écriture. En attendant, je ne m'en fais pas pour le devenir de son livre qui caracole dans les hits et qui a trouvé grâce auprès de nombreux critiques, blogueurs et lecteurs. 


L'auteur :
Auteur français né en 1972, Karine Tuil est diplomée d'un DEA droit de la communication/sciences de l'information. En 1998, elle participe à un concours de manuscrit. Elle est alors remarquée par le directeur du Figaro littéraire de l'époque Jean-Marie Rouart. Depuis 2000, Karine Tuil a publié 9 romans : 3 sont parus chez Plon ( Pour le pire, Interdit, Du sexe féminin ) et 5 édités par Grasset ( Tout sur mon frère, Quand j'étais drôle, Douce France, Six mois, six jours et L'invention de nos vies ).


1 commentaire :

  1. Je l'ai dans ma pal et j'avoue que ton commentaire me donne très envie de le commencer. On en reparlera...
    Bonne journée

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