samedi 6 avril 2013

Le Sang noir

Louis Guilloux / folio Gallimard

Louis Guilloux, Le Sang noir, Gallimard 

Mon coup de coeur :
Récit d'une journée de 1917 dans une ville de province épargnée par les combats et portrait sans concession des ses habitants, Le Sang noir est un roman brillant qui nous transporte dans un univers à la fois tragique, burlesque et quasi fantastique.
La figure principale de ce récit est Merlin le professeur de philosophie à l'allure grotesque et au sobriquet ridicule: Cripure (la Critique de la raison pure de Kant devenant pour ses élèves la "Cripure de la raison tique"). Moqué par ses lycéens, il est aussi la risée de ses collègues et de ses concitoyens. Même son narrateur ne l'épargne pas:
"Son petit chapeau de toile rabattu sur l'oeil, sa peau de bique flottante, sa canne tenue comme une épée, et cet effort si pénible à chaque pas pour arracher comme d'une boue gluante ses longs pieds de gugusse, Cripure avait l'air dans la rue d'un somnolant danseur de corde. Sa myopie accusant le côté ahuri de son visage, donnait à ses gestes un caractère ralenti, vacillant, d'ivrogne (...)"
Vivant en marge de cette société dont il ne reconnaît pas les valeurs, Cripure partage sa vie avec Maïa -sa concubine illettrée au physique ingrat- et ses chiens à puces. Déjà auteur de deux livres il ne rêve que d'en écrire un autre, un chef-d'oeuvre, un recueil de pensées appelé "Chrestomathie du Désespoir -tel était le titre pédantesque qu'il comptait lui donner, à moins qu'il ne l'appelât : La Mistoufle..."
Autour de lui se greffent d'autres personnages tous malveillants, hypocrites et fantoches à l'image de Nabucet, médiocre petit notable franchouillard et inculte : "Cripure avait déçu l'assemblée en parlant avec trop de flamme d'un écrivain étranger, un certain Ibsen dont il semblait tout féru. Même alors, et qu'eût-ce donc été aujourd'hui, cette exaltation d'un étranger leur avait semblé incongrue. Elle témoignait de sentiments hostiles à la culture française. Que diable, mais que diable avait-on besoin de tous  ces Suédois et autres métèques (...) Est-ce qu'en littérature comme en tout, ces gens-là n'étaient pas de plats imitateurs de la France ?".
Alors que sur le front les combats se poursuivent et que les premières mutineries éclatent, ces derniers consacrent leur temps à des mondanités et à se gargariser de discours patriotiques auxquels ils ne croient pas. Bouffis d'orgueil, ils restent aveugles à ce qui se passe autour d'eux. Or au-delà de cet apparat la seule réalité tangible, la chose qui compte le plus c'est la mort des soldats et la douleur et les larmes de leurs proches.. Quel passage émouvant et plein de pudeur que celui consacré à M. Marchandeau dont le fils vient d'être exécuté. Jusqu'à présent cet homme avait eu "le sentiment que cela ne le concernait pas directement, que les choses se passaient dans un univers sans rapport avec le sien, si paisible, que bien sûrement il ne serait jamais fusillé, lui ni personne qu'il connût. Or...". Dupé par la propagande officielle, Mr Marchandeau s'étonne qu'il puisse y avoir des insurgés et qu'on puisse les abattre comme des traitres. Involontairement complice de cette "machine meurtrière" qui maintenant se retourne contre lui et les siens, il avait longtemps cru "que ces milliers de jeunes gens jetés au fumier acceptaient joyeusement leur mort". Quelle terrible désillusion!

Le Sang noir est un roman typique des années 30 qui fait de l'Histoire un élément essentiel de l'intrigue sans que cela se fasse au détriment des personnages. D'ailleurs si Guilloux peint un portrait aussi saisissant de Cripure c'est afin d'en faire le révélateur de la société dans laquelle les personnages évoluent (mais aussi un rempart contre cette même société): une société sans repère ni valeur. La présence d'un tel personnage permet de dénoncer la frivolité, l'indélicatesse et la suffisance d'une certaine classe sociale qui a pu rester loin des combats.

La satire est cruelle et les dimensions politiques et métaphysiques rendent ce roman inoubliable. Dès les premières pages il interpelle et fascine (tout comme Cripure) et déroule une intrigue à la beauté dramatique. Je l'ai découvert il y a une vingtaine d'années pourtant il continue de m'émouvoir et me fasciner.


L'auteur :
Louis Guilloux (1899-1930) est un écrivain incontournable des années 30. Ce roman (publié en 1935) fut lu et défendu par André Gide, Jean Grenier, André Malraux (son ami) et Albert Camus (son élève). Ce dernier à propos de ce roman disait: "Ce livre tendu et déchirant qui mêle à des fantoches misérables des créatures d'exil et de défaite, se situe au-delà du désespoir et de l'espoir".
Son oeuvre pourtant magistrale et influente est de nos jours tombée dans l'oubli. Pourtant chaque année un prix portant son nom est remis par le Conseil des Côtes d'Armor pour "une oeuvre de langue française, caractérisée notamment, outre l'excellence de la langue, par la dimension humaine d'une pensée généreuse refusant tout manichéisme, tout sacrifice de l'individu au profit d'abstraction idéologique".
Ses convictions humanistes ont d'ailleurs conduit Guilloux à occuper le poste de secrétaire lors du 1er Congrès mondial antifasciste. Lui même se considérait comme avoir "toujours été dans une philosophie de gauche socialisante et même communisante, mais il y a un côté anarchisant lié à l'écriture qui est vraiment mien".
Cet ancien élève et admirateur de Georges Palante -de qui il s'inspira pour créer Cripure- a reçu le prix Renaudot en 1949 pour son roman Jeu de patience.

Et plus si affinités :
J'ai trouvé sur internet deux articles consacrés à Louis Guilloux qui complètent le portrait sommaire que j'ai pu faire de lui. Je vous laisse naviguer ici ou  au gré de vos envies.

Et toujours plus :
"Je n'ai pas d'idéal social. Je crois que toute société est par essence despotique, jalouse non seulement  de toute supériorité mais simplement de toute indépendance et originalité. J'affirme cela de toute société quelle qu'elle soit, démocratique ou théocratique, de la société à venir comme celle du passé et du présent. Mais je ne suis pas plus fanatique de l'individu. Je ne vois pas dans l'individu le porteur d'un nouvel idéal, celui qui incarne toute vertu."
Georges Palante (1862-1925) est un sociologue et philosophe français admirateur de Nietzsche et lecteur de Freud. Il appartient à un courant philosophique défendant "l'individualisme aristocratique" selon lequel un individu doit pouvoir vivre en société sans pour autant être broyé par elle.
Sa postérité est assurée notamment par Guilloux, Grenier, Camus (le nom de Palante figure dans L'homme révolté), Gide (qui le cite en exergue dans Les Caves du Vatican) et actuellement par Michel Onfray qui lui a consacré son essai Physiologie de Georges Palante, pour un nitzschéisme de gauche initialement paru aux éditions Folle avoine et réédité chez Grasset en 2002.
Le portrait  qu'il dresse de Georges Palante n'est d'ailleurs pas sans rappeler celui que donne Guilloux de Cripure.

vendredi 5 avril 2013

Les Braises

Sandor Marai, Les Braises, éditions Albin Michel et LGF 

Mon coup de coeur :
Grâce à son écriture classique, élégante et pure, Marai est l'auteur hongrois le plus célébre en France. Ses romans rappellent ceux de S. Zweig ou d'Arthur Schnitzler dans la manière dont ils parlent de la fragilité des personnages et de l'ambiance dans laquelle ils évoluent. Comme ses deux aînés, Marai peint les moeurs bourgeoises de son époque tout en chroniquant la disparition progressive du monde dans lequel lui-même a grandi (à savoir la fin de l'empire austro-hongrois). Les Braises n'échappe pas à la règle.
Composé de deux grandes parties (la première évoque la naissance d'une grande amitié dans un contexte socio-politique bien particulier, la seconde les retrouvailles glaciales) ce roman ausculte la mort d'une amitié.
Quelque part dans une bourgade hongroise, deux amis d'enfance -Henri et Conrad- se retrouvent près 41 ans et 43 jours de silence. Pendant que l'un échafaudait minutieusement sa vengeance, le second refaisait sa vie à l'autre bout du monde. "On se prépare parfois, la vie durant, à quelque chose. On commence par être blessé et on veut se venger. Puis on attend. Le général attendait depuis fort longtemps et ne savait même plus à quel moment l'offense et le désir de vengeance s'étaient transformés en attente." En attendant le moment fatidique, Henri -l'ancien Général- se remémore l'époque durant laquelle lui et Conrad -"le Capitaine"- étaient inséparables. Il passe alors en revue aussi bien leurs premières complicités et leurs jeux d'enfants que leurs premiers pas en société ou leurs premiers émois amoureux. Quoiqu'en tout point opposés (d'origines socio-culturelles différentes ils ont aussi des physiques bien différents), les deux garçons semblaient vivre une amitié indestructible, "un moment privilégié, miraculeux de la vie" et ce depuis qu'ils s'étaient rencontrés à l'âge de 10 ans. Or progressivement nous nous rendons compte de la méprise du Général car Conrad s'est toujours senti floué, lui le passionné de musique, le "hongrois" dont les parents ont dû se sacrifier pour le faire admettre à l'école militaire.
Son arrivée dans la sublime demeure de son hôte et la confrontation qui va s'en suivre dissiperont les vieux malentendus. Le temps d'un dîner ils vont enfin s'expliquer même si chaque tentative de réconciliation va inexorablement se heurter à de nouvelles révélations. Et c'est aussi au cour de cette longue soirée qu'ils finissent par évoquer la femme qu'ils ont tout deux tant aimée. Le constat est sans appel : leur amitié est définitivement morte. C'est désormais la parole d'un homme cocufié (Henri) qui s'exprime. Et dans cet univers où tout se délite, ces deux vieillards expriment leurs rancoeurs sans éclat ni violence.

Avec Les Braises, Marai nous offre un très beau huis-clos sur le temps qui passe, sur la perte des illusions et des idéaux mais aussi sur la fierté masculine et la trahison. La tension dramatique est ici rendue par l'alternance de silences, de confidences et de faux-fuyants. Jusqu'à l'ultime révélation.

Ce que j'aime particulièrement dans les écrits de Sandor Marai c'est qu'il sait prendre le temps d'installer ses personnages dans un environnement qui correspond à leur personnalité et/ou à leur évolution. J'aime aussi leur retenu malgré les troubles qui les assaillent, tout comme je suis sous le charme de la délicate peinture des lieux et des ambiances qui en disent plus sur les protagonistes qu'une longue description ou qu'une analyse faussement "psychologisante".

Ce chef d'oeuvre a été adapté au théâtre en 2003 par Claude Rich.


L'auteur : 
Né à Kassa en 1900 (aujourd'hui en Kosice en Slovaquie) et issu d'une grande famille de la bourgeoisie d'origine allemande, Sandor Marai fut d'abord journaliste à Budapest, en Allemagne puis à Paris. Antinazi et antibolchévique convaincu, il choisit l'exil lors de l'arrivée des soviétiques à Budapest. Il séjourne successivement en Italie, en France puis finalement en Californie où il se donnera la mort en 1989 suite aux décès successifs de sa femme et de son fils.
Interdite jusqu'en 1990 en Hongrie, son oeuvre est désormais redécouverte dans son pays mais partout en Europe. C'est grâce à Ibolya Virag (longtemps éditrice et directrice de collection chez Albin Michel) si nous disposons désormais d'un grand nombre de ses romans toujours publiés par Albin Michel et le Livre de Poche. Des Révoltés aux Etrangers, il y a une quinzaine de livres traduits en français parus chez les éditeurs cités auparavant dont un certain nombre de coups de coeur à venir...



L'arrière-saison


Philippe Besson / 10/18Philippe Besson, L'arrière-saison, 10/18

Mon coup de coeur :
En s'inspirant du tableau d'Edward Hopper Nighthawks, Philippe Besson retrace le parcours de trois êtres solitaires.
Nous sommes à Cap Code au sud de Boston et plus exactement chez Phillies un bar déserté en ce dimanche soir.
Sous le regard de Ben le barman, la sublime Louise attend Norman -son amant depuis peu- tout en sirotant son martini. Lui comme nous, lecteurs, savons d'ores et déjà que Norman n'abandonnera pas sa femme pour elle. Surgit alors celui qui fut son grand amour Stephen. Celui qui l'a tant fait souffrir. "La seule chose que Stephen lui ait léguée en partant, c'est le temps. Ce sont les années interminables à ressasser leur rupture, l'enchaînement des événements, la séquence de leur perdition (...) Le corps de Stephen lui a manqué horriblement: ce manque là englobait tous les autres, il l'a amenée aux portes de la démence."
Cela fait trop longtemps -5 ans- qu'ils ne se sont ni vus ni parlés. La tentative pour renouer les liens perdus s'avère alors difficile. "Lorsqu'une histoire est terminée, elle est effectivement terminée, sans espoir de retour de flamme, sans possibilité de recommencement (...). (Louise) a préféré une souffrance éclatante à une interminable agonie." Jamais elle n'avait imaginé un éventuel retour de Stephen ni les nouvelles souffrances que cela lui procurerait.

Besson fait de ce huis-clos à l'ambiance mélancolique -initialement peint par Hopper- une scène de retrouvailles éprouvante. Car comment renouer contact après des années de silence? Le constat est sévère. Une fois les rancoeurs et la colère évanouies il ne reste finalement rien si ce n'est de simples souvenirs vides de sens.

Toute la beauté du récit tient à la manière dont l'auteur a su rendre la fragilité des personnages, leurs souffrances et leur incapacité à communiquer. La désolation des lieux s'accordant à celle des protagonistes et renvoie les personnages au néant qui résume finalement leur vie.


L'auteur :
Philippe Besson est né en 1967. Après des études de commerce il commence l'écriture de son premier roman En l'absence de hommes en 1999. En 2001 il reçoit le prix Emmanuel-Roblès pour ce même titre. Son deuxième roman Son frère concourt au prix Fémina. Patrice Chereau l'adaptera au cinéma en 2002 avec Bruno Todeschini comme premier rôle. En 2003 sorti de L'arrière-saison roman qui obtient le Prix RTL-Lire. Depuis Besson a publié 7 romans (Un garçon d'Italie, L'enfant d'octobre, Se résoudre aux adieux, Un homme accidentel, La trahison de Thomas Spencer, Retour parmi les hommes et Une bonne raison de se tuer) tous paru aux éditions Julliard.

Et plus si affinités :

Nighthawks (1942) est une des peintures les plus célèbres du peintre américain Edward Hopper. On la connaît en France sous le nom Noctambules ou Les rôdeurs de nuit.
Avec ce tableau, Hopper nous oblige à observer à travers la vitre courbe (comme un aquarium) d'un bar typiquement américain quatre personnages perdus dans la nuit. L'angle, l'éclairage, la raideur des personnages et l'absence de toute issue participent à rendre l'atmosphère dramatique et figée. Face au serveur un homme vu de dos mange seul. A sa gauche un autre homme et une jeune femme à la chevelure flamboyante semblent se parler sans se regarder. Les alentours sont désertés. Avec peu de couleurs mais un travail minutieux sur les formes et les lumières, Hopper réussi à peindre le doute et le temps en suspens donnant à l'ensemble une impression à la fois banale et mystérieuse.
Hopper reprend ici ses thèmes de prédilection: la solitude, l'amour et l'échec; thèmes que développe à son tour Philippe Besson dans son roman.
Ce qu'il a d'amusant et d'enrichissant avec Hopper c'est qu'il s'est inspiré de la littérature et du cinéma pour créer ses tableaux et qu'inversement des écrivains et des cinéastes se sont inspirés de ses peintures pour réaliser leurs oeuvres. Ainsi  Les Tueurs d'Hemingway a été à l'origine de Nighthawks qui a lui même influencé Robert Siodmak lorsqu'il a adapté en 1946 ce même roman. Pour en savoir plus, n'hésitez pas à utiliser ce lien et accéder au document conjointement réalisé par Télérama.fr et Dailymotion sur les relations entre Edward Hopper et le cinéma.

Et toujours plus :
Ici un extrait (également utilisé dans le document cité plus haut) du documentaire intitulé La toile blanche d'Edward Hopper diffusé par Arte disponible sur DVD.

(extrait mis en ligne par RMNgrandpalais)

lundi 1 avril 2013

Le rapport de Brodeck


Philippe Claudel / Livre de Poche

Philippe Claudel, Le rapport de Brodeck, éditions Stock et LGF


Mon coup de coeur :
Dans un village isolé "sur les contreforts de la montagne, posé entre les forêts comme (un) oeuf dans des nids", un village ancré dans une région dont le nom nous est tu (mais que j'imagine être un pays germanophone d'Europe centrale) un étranger -surnommé l'Anderer- arrive accompagné de son âne et de son cheval avec son accoutrement bizarre, une politesse excessive, des manières sophistiquées et surtout une manie de tout écrire dans un carnet. Sa simple présence suscite la méfiance puis la haine de tous sauf de Brodeck. Ne le supportant pas et portés par une fureur collective les villageois décident un jour de le tuer. Peu après cet terrible acte -  magnifiquement retranscrit- que tous nomment "l'Ereigniës", ces mêmes personnes confient à Brodeck la charge d'un rapport qui pourrait justifier leur ignominie et ainsi leur donner bonne conscience.
Le prêtre lui-même fait ce dramatique constat: "Les hommes sont bizarres. Ils commettent le pire sans trop se poser de question, mais ensuite, ils ne peuvent plus vivre avec le souvenir de ce qu'ils ont fait".
Alors qu'il désirait oublier les horreurs dont il a été victime, Brodeck se trouve contraint d'écrire sur un autre acte de barbarie. Mais plus que l'enquête sur les événements qui ont conduit à ce meurtre collectif, ce qui le motive c'est de ne rien dissimuler de sa vie et des faits qui ont marqués le village.
"Si mon récit ressemble à un corps monstrueux, c'est parce qu'il est à l'image de ma vie, que je n'ai pu contenir et qui va à vau-l'eau". Car sa vie témoigne des horreurs du XXème siècle: il fut successivement un enfant abandonné recueilli par une vieille femme, un jeune homme dénoncé par ces mêmes villageois comme "Fremder" (étranger) lors de l'arrivée des "Fatergeheime"(nazis) et un survivant des camps de la mort. Son récit nous entraîne progressivement et inéluctablement vers l'insoutenable.
En jouant avec la chronologie et en procédant par associations d'idées, Brodeck/Claudel dévoile la noirceur de l'âme humaine, la bêtise et la lâcheté qui entraînent les hommes à s'humilier et à s'entre-tuer.
"L'idiotie est une maladie qui va bien avec la peur. L'une et l'autre s'engraissent mutuellement créant une gangrène qui ne demande qu'à se propager". Derrière cette chronique d'un village perdu au milieu de nulle part Brodeck raconte la seconde guerre mondiale et ses atrocités, même si c'est par allusions tout y est: l'occupation, les dénonciations, les déportations et la résistance. C'est d'ailleurs ce qui rend ce récit aussi bouleversant car derrière la beauté du texte se dissimule l'horreur.

Incroyable conteur et fin styliste, Philippe Claudel nous offre un roman fait de couleurs, d'odeurs et de sons mais aussi de métaphores et d'ellipses. Un roman dans lequel l'auteur manie une langue qui transcende la gravité du sujet et qui retranscrit fort justement les souffrances physiques et morales de Brodeck et de ses proches.

Outre la cruauté du propos et la beauté dramatique des images qui défilent sous nos yeux ébahis, il y a dans ce roman des interrogations qui perdurent au-delà de la lecture.

Le rapport de Brodeck est un roman qui se lit autant qu'il s'éprouve.


L'auteur :
Philippe Claudel est un écrivain et réalisateur français né en 1962 en Meurthe-et-Moselle d'un père ancien résistant.
Remarqué par la critique en 1999 lors de la parution du Café de l'Exelsior (éditions La Dragonne), il obtient le prix Renaudot en 2003 pour Les âmes grises (Stock 2003, LDP 2006) puis le Goncourt des Lycéens pour Le rapport Brodeck (Stock 2007, LDP 2009). Il est également l'auteur de La petite fille de monsieur Linh (Stock 2005, LDP 2007), de l'Enquête et du Parfum également parus chez Stock.


lilimarleen
photo prise par moi-même lors de mon séjour à Berlin en 2008