jeudi 6 mars 2014

Mayonnaise

Eric Plamondon, Mayonnaise, éds Phébus

Mon coup de coeur :
" A déguster d'une seule traite cet été, comme un cornet de glace qui, à peine terminé, appelle le suivant ." Cette critique qu'un anonyme avait formulé pour qualifier l'oeuvre de Brautigan je la reprends aisément pour définir l'impression que m'a laissée cette lecture. Oui ! j'ai aimé ce roman. Déjà pour les mêmes raisons que celles qui m'ont fait aimer le précédent opus (Hongrie-Hollywood Expressde cette trilogie consacrée à l'année 1984à savoir son caractère protéiforme et polyphonique. Mais j'ai aussi aimé ce récit pour des raisons qui lui sont propres :
D'abord j'y ai fait la connaissance de Richard Brautigan, un auteur que je ne connaissais jusqu'à présent qu'indirectement. Ici le narrateur déroule de façon fragmentaire et éclatée les épisodes importants de sa vie qu'il étoffe avec des éléments de la vie de ses proches (sa mère naturelle, sa mère de coeur, sa fille). Cette biographie à peine romancée est la véritable colonne vertébrale de ce livre autour de laquelle se greffent d'autres considérations sur le succès, l'écriture, la mort...
Ensuite Gabriel Rivage -déjà narrateur du précédent tome- s'y dévoile davantage en nous racontant plus largement son enfance et son quotidien auprès d'un père mutique et secret. Si dans Hongrie-Hollywood Express, Gabriel se remémore le temps passé avec sa mère, ici il fait de la figure paternelle l'un des points d'ancrage de son récit.
Chaque vie à une date charnière, celle de nos deux protagonistes (Rivages et Brautigan) -comme celle de Weissmuller et Jobs- c'est l'année 1984. Mais si 1984 est la date qui a inspirée cette la trilogie, la "mayonnaise" est (après la figure du père) l'un des fils conducteurs de ce récit. C'est à la fois l'ultime mot employé par Richard Brautigan dans ce qui est a-priori son chef-d'oeuvre La pêche à la truite en Amérique et le leitmotiv qui inspire le narrateur. C'est  l'élément qui permet de faire le lien entre l'oeuvre et le destin du romancier et la vie de Rivage. La mayonnaise c'est enfin la métaphore de la vie qui prend ou au contraire qui ne prend pas.
A force de questionnements, de digressions et d'apartés, le récit s' interroge et nous interroge sur ce qui fait une existence réussie. Pourquoi Richard Brautigan s'est-il donné la mort ? Pourquoi notre narrateur est porté par une seule ambition : l'écriture : " Quand tout le monde a envie d’aller au resto, si je reste seul, je m’en fous, je vais écrire. Quand tout le monde a peur de se retrouver au chômage, je m’en fous, parce que, si je n’ai plus de travail, je vais écrire. Quand tout le monde part en vacances, je m’en fous, parce que, si je reste là, je vais écrire. Quand il fait beau ou qu’il pleut, je m’en fous, parce que je vais écrire. Quand on me retrouve seul à l’aéroport ou dans le train, je m’en fous, parce que j’écris. Quand il faudrait que j’aille dormir parce qu’il est assez tard, je m’en fous, j’écris. Dans la salle d’attente, j’écris. Dans les chambres d’hôtel, j’écris. Quand les jours sont trop longs, les plaies trop vives, l’espoir à zéro, j’écris. Le reste du temps, je me demande ce que je pourrais bien écrire "... et même par l'histoire de l'écriture mécanique et la naissance des premières machines à écrire construites par des fabricants d'armes...
En trouvant des correspondances entre des éléments disparates, Eric Plamondon nous parle de la figure de l'écrivain incompris, de la paternité et du suicide. Par un incroyable et précieux travail d'écriture et de composition, il tisse un récit où le réel se mêle au fictif, ou l'essentiel se confond avec l'anecdote.

Encore une fois, Eric Plamondon nous offre un récit riche, décousu et inclassable qui entrelace récits de vie (une fictive et l'autre réelle), faits divers, considérations sur Brautigan (sa vie/son oeuvre), réflexion sur la vie (et la mort)/la littérature/l'écriture et les arts, recettes de cuisine et sur les différentes manières d'élaborer des mayonnaises... 

Même si l'effet de surprise est moindre que lors de la lecture de Hongrie-Hollywood Express, je suis toujours charmée par cette structure narrative faite d'ellipses et de reprises, par la richesse des sujets abordés et par cette langue qui se renouvelle sans cesse. Et si Richard Brautigan écrivait comme il péchait en appâtant le lecteur et en l'extirpant de la rêverie " comme une truite hors du torrent ", il en est de même pour Eric Plamondon. J'avais déjà adoré Hongrie-Hollywood-Express, ce récit est tout aussi jubilatoire et rafraîchissant. Vivement le troisième volume !!!


L'auteur :
Né au Canada en 1969, Eric Plamondon a été successivement pompiste, bibliothécaire, barmaid ou professeur (il a enseigné le français à l'université de Toronto). Il a étudié les sciences, l'économie, le journalisme. Il a quitté le Québec pour la France et vit désormais à Bordeaux où il travaille dans la communication.
Mayonnaise est le deuxième roman publié en France par les éds Phébus après Hongrie-Hollywood Express. Il a été finaliste au Grand Prix du livre de Montréal 2012, au Prix des libraires du Québec 2013 et au Prix littéraires des collégiens 2013.

Et plus si affinités :
Lire Hongrie-Hollywood Express (éds Phébus) et les oeuvres de Richard Brautigan, certaines (La pêche à la truite en Amérique et/ou Un Privé à Babylone) vont d'ailleurs alourdir ma liste de livres à lire  ;-)

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