mercredi 11 septembre 2013

l'invité(e) du bruit délivre (2)

L'invité(e) du Bruit délivre...

Voici le deuxième numéro de ce rendez-vous que je me délecte de publier et dont le principe est de donner la parole à des libraires, auteurs ou éditeurs en les laissant librement choisir le sujet et le ton de leur page. 
Je souhaite avec ce nouveau rendez-vous non seulement vous surprendre mais surtout aiguiser votre curiosité naturelle, ainsi que la mienne.

Mon invitée :
Mon invitée se prénomme Sandrine, elle est libraire depuis 2001 et comme mon précédent convive elle est généreuse, curieuse et passionnée. Son livre de chevet est Neige de Maxence Fermine et ses domaines de prédilection -hormis la littérature- sont la poésie, le slam (qu'elle pratique depuis quelques années), les arts graphiques et plus précisément le street art. Elle publie régulièrement des articles pour topikalljam, une revue qui met en avant les cultures créoles "au sens Glissant du terme" et c'est ici pour lire sa dernière chronique et pour accéder à la page d'accueil de la revue..
Sandrine a activement participé à la commission Fnac dont sont issus la sélection rentrée littéraire et le prix Fnac 2013 (premier prix de la saison décerné à Julie Bonnie pour son roman Chambre 2 aux éds Belfond). C'est pour toutes ces raisons que je suis heureuse de l'accueillir aujourd'hui afin qu'elle nous fasse partager SON coup de cœur de cette rentrée.

Son coup de coeur :

Une Sainte d'Emilie de Turckheim (éds Héloïse d'Ormesson)


On croit bien aux fantômes pourquoi pas aux anges...


éds Héloïse d'OrmessonUn de mes gros coups de coeur de cette rentrée littéraire et certainement le plus barré et le plus loufoque qu'il m'ait été donné de lire.
Pour toutes celles et ceux qui auraient lu Lily la tigresse d'Alona Kimhy (Folio 2007), allez foncez vous vous régalerez! Pour tout les autres suivez moi!
L'héroïne de ce roman décide un jour étant enfant qu'elle sera béatifiée,  en clair elle veut devenir une sainte. Pourquoi pas...
Elle met donc tout en oeuvre pour y parvenir. Non contente d'aider son entourage,  elle est en plus visiteuse de prison.
Il est bon de noter à ce niveau qu'Émilie de TURCKHEIM est elle même visiteuse de prison. C'est pour cette raison que l'ambiance y est tout à fait bien retranscrite. Des formalités administratives qui n'en finissent jamais, aux odeurs âcres qui vous égratignent les narines, en passant par les bruits , je pense notamment à sa faculté de retranscrire les bruits de tôle qu'on frotte, ceux de papiers froissés, des bruits qui raisonnent, mais aussi à un silence parfois inquiétant...on s'y croirait.
En tout cas l'héroïne vit cette activité comme un sacerdoce. Et Dimitri qui est incarcéré est ravi de ses visites.
Parallèlement elle n'est jamais avare de conseils pour sa meilleure amie, Marie qui voulait devenir comédienne et qui se retrouve actrice porno , mais c'est déjà un peu actrice, non ?!
Elle s'occupe également de son vieux voisin quasi grabataire et de son chat qu'elle prend en pension, mais sait-elle réellement s'occuper d'un animal domestique?
Elle visite sa mère qui loge en maison de repos. Ici on assiste à des dialogues mère-fille complètement surréalistes!
Les voisines, anciennes championnes de bowling, ne sont pas en reste non plus....
Mais c'est avec la sortie de prison de Dimitri que tout va basculer...si vous saviez !
Je me suis régalée, que dis je, délectée, car Émilie de TURCKHEIM a elle aussi pris énormément de plaisir à l'écrire,  on le sent dans la précision de l'écriture, dans le style. Il se passe des choses étranges que je ne peux pas vous révéler,  dérangeantes et j'ai aimé être bousculée,  loufoques  et ça fait du bien de lire de l'extra- ordinaire ! Accrochez vos ceintures ça va saigner !

Sandrinella


Quelques mots sur l'auteur :
Emilie de Turckheim est une jeune romancière française (née en 1980) diplômée de Sciences-po où elle a étudié le droit puis la sociologie.
Dès 2002, elle décide d'enseigner l'anglais et le français dans les prisons avant de devenir en 2004 visiteuse au centre pénitentiaire de Fresnes.
En 2005, elle publie son premier roman, Les Amants terrestres (éds Le Cherche midi) et reçoit le prix littéraire de la Vocation 2009 pour Chute libre (éds du Rocher) et le prix Bel Ami 2012 pour Héloïse est chauve (éds Héloïse d'Ormesson)Le Joli mois de Mai (paru chez le même éditeur) est traduit en allemand chez Klaus Wagenbach. En 2012, Emilie de Turckheim s'inspire de son expérience de visiteuse de prisons pour écrire Les pendus (éds Héloïse d'Ormesson) et celle de modèle vivant  pour composer La Femme à modeler, paru en 2012 aux éditions Naïve dont elle est directrice de collection.
Si vous voulez en savoir davantage, n'hésitez pas à voir ici le beau portrait qu'en a fait Caroline de Bodinat pour Libération.


Pour voter pour ce blog : c'est ici 

lundi 9 septembre 2013

C'est lundi, que lisez-vous ? (14)

C'est lundi, que lisez-vous ?

Ce rendez-vous hebdomadaire a été inspiré par les It's Monday, what are yoou reading ? by One Person's Journey Through a Wolrld of Books et repris par Mallou puis Galleane. J'espère grâce à votre contribution pouvoir faire de cette page un rendez-vous convivial.

Comme chaque lundi je répondrai aux trois questions suivantes :
  1. Qu'ai-je lu la semaine précédente ?
  2. Que suis-je en train de lire ?
  3. Que vais-je lire ensuite ?

Peu de lectures la semaine passée (un peu de travail et beaucoup de repos). J'ai commencé Le parfum de Jitterburg  de Tom Robbins (éds Gallmeister) et l'Accomplissement de l'amour d'Eva Almassy (éds de l'Olivier), lectures que je vais poursuivre cette semaine puis j'enchaînerai avec L'invention de nos vies de Karine Tuil (éds Grasset). A moins que je ne change encore une fois d'avis au dernier moment ;-)
Et vous ?

Pour voter pour ce blog : c'est ici 

vendredi 6 septembre 2013

Dans la gueule du loup

Olivier Bellamy, Dans la gueule du loup, éds Buchet-Chastel

Ma chronique :
Paris 1936, alors qu'il compose son chef d'oeuvre Pierre et le loup S. Prokofiev prépare son retour en Urss après un exil parisien en compagnie de sa femme Lina -ancienne chanteuse lyrique au caractère bien trempé- et de ses deux enfants. Il vient de réceptionner une lettre officielle l'invitant à revenir dans son pays natal. Il y voit alors un échange de bon procédé : lui est rétabli dans son apparat de maître et l'Urss peut s'enorgueillir de comprendre et d'aider les artistes : "Ils ont besoin de moi, de ma réputation, de mon prestige pour faire croire au monde que l'Urss est la panacée de l'humanité, que le communisme crée des génies plus sûrement que le capitalisme". En plus de se gargariser de cette invitation, Prokofiev vise l'incompréhension dont font preuve les français vis-à-vis de ses oeuvres.
Quelques années plus tard en Union Soviétique, Prokofiev est retenu prisonnier et est muselé par les différents commissaires en charge des créations musicales. On lui ordonne de rendre sa musique plus accessible au peuple et de ce fait il se fait quotidiennement sermonner tandis que sa femme est retenue prisonnière dans un camp sibérien afin que le mentor puisse divorcer et se remarier sans qu'elle ait son mot à dire. Malgré son statut, comme n'importe quel musicien et compositeur, il doit avoir l'aval du parti à chaque étape de la création. Lui l'immense compositeur est traité comme un auteur lambda. "Les artistes à Moscou ont peur (...) Maïakovski s'est suicidé, d'autres sont emprisonnés ou déportés, les compositeurs sont sommés d'écrire une musique qui plaise au peuple. Vous perdez votre liberté de créateur." Au fil des pages, on découvre un artiste intransigeant, au franc parlé cinglant et à l'orgueil démesuré mais on apprend aussi ce qu'aurait pu être (nous sommes dans une fiction et non dans une biographie même romancée) la vie russe du grand compositeur qui ironie du sort va mourir dans la plus grande indifférence le même jour que Staline. Le roman est à l'image de son personnage principal : drôle et cruel.

Dans la gueule du loup est une fable politique grinçante sur les purges staliniennes (à travers le déclin d'un seul homme c'est tout un pan de l'histoire soviétique qui est ici fustigé) tout autant qu'un pamphlet contre la censure et une allégorie sur la fin de vie de Prokofiev, qui en quête de reconnaissance, s'est lui-même livré au loup. Dans ce roman, le narrateur imagine non sans humour le chemin de croix que fut la vie personnelle et artistique de Prokofiev depuis son retour au pays; le récit se consacrant alors qu'aux épisodes illustrant la désillusion vécue par Prokofiev et sa relative résignation face aux décisions politiques qui le brident. L'ensemble constitue un livre qui se laisse très agréablement lire et qui donne envie de replonger dans son vieil album de Pierre et le loup afin de l'écouter en boucle. Une bonne surprise de cette rentrée littéraire.



L'auteur :
Né en 1961, Olivier Bellamy est journaliste et animateur sur Radio Classique d'une émission appelé "passion classique" au cours de laquelle des personnalités témoignent de leur amour pour la musique classique. A côté de cela, il est le directeur artistique du festival de musique classique de Ramatuelle et auteurs d'essais sur la musique. Dans la gueule du loup est sa première fiction.

Et plus si affinités :
Retourner en enfance et écouter Pierre et le loup dans sa version Walt Disney bien évidemment !


 (vidéo mise en ligne par La Nina Cactus):

lundi 2 septembre 2013

Ailleurs

pour le bruit des livres
Richard Russo, Ailleurs, éds La Table Ronde

Mon coup de coeur :
A la disparition de sa mère Jean, Richard (Rick) Russo ressent la nécessité de consacrer un livre à cette femme omniprésente dans sa vie et de décrypter la singulière relation qui les unissait. A la manière d'un Romain Gary dans La promesse de l'aube, il fait de ce récit un éloge tout autant qu'une biographie sans concession mais remplie d'amour. Jean est une femme remarquable au sens premier du terme. Elle élève seule son fils et a décidé de rompre avec les habitudes familiales pour obtenir un poste de secrétaire administrative dans une grande entreprise américaine aux nombreuses succursales. Au fils des pages, cette mère qui semblait forte, persévérante et intelligente  va s'avérer fragile, marginale, tyrannique et manipulatrice. Mais ce n'est que peu après son décès que sa véritable nature se révèle aux yeux de son fils. Pourquoi cette femme a-t-elle été omniprésente dans la vie de celui-ci même lorsqu'il fut en âge d'être entièrement indépendant ? Pourquoi a-t-elle toujours exigé de le suivre partout où il s'installait même si pour cela il fallait traverser tout les Etats Unis ? Qu'est-ce qui justifie en fin de compte le comportement irrationnel et excessif de cette mère ?
C'est en suivant les étapes essentielles dans la vie de Rick -son enfance dans une ville relativement pauvre du nord de New-York -Gloversville-, ses études à l'université, l'obtention de sa première chaire, son mariage et ses premières années de vie maritale, sa consécration en tant qu'écrivain...- que l'on comprend la nature profonde de leur relation en partie fondée sur une promesse d'être toujours là l'un pour l'autre. Mais c'est aussi grâce à ces moments qui ont jalonnés leur vie que Russo dévoile une facette inattendue de la personnalité de sa mère. Son désir perpétuel de vouloir des choses inconciliables -quitte à rendre fou son fils- trouve sa cause dans une maladie bien connue aujourd'hui mais qui alors n'étaient pas reconnue comme telles : les troubles obsessionnels compulsifs. Pendant toute leur vie, le comportement de cette femme passait au pire pour de la dépression ou au mieux pour de l'extravagance. Si elle semblait parfois agir comme une femme de caractère et sûre d'elle, l'excès de responsabilités (élever seul un enfant, avoir un travail noble, payer ses propres factures...), l'accumulation de déceptions et la peur de mal faire provoquaient ce que l'on avait coutume d'appeler "une maladie des nerfs" provoquant des excès irrationnel de colère et une hystérie qui la poussait alors à poser une série de questions sans pour autant attendre de réponses : "Je n'en peux plus (...) personne ne comprend ça ?", "Est-ce que je ne mérite pas d'avoir une vie ?", "Personne n'est capable de comprendre qu'il faut que ça change". Comportement qui l'a progressivement isolée des autres. Or il n'arrivait jamais rien. Sa vie n'a été qu'une suite de décisions hâtives, de pleurs, de promesses impossibles à tenir, de caprices...
Ce récit c'est aussi l'incroyable périple effectué par l'inamovible duo composé de Richard Russo et de sa mère. Un parcours qui les entraîne de New York à Phoenix en passant par bien d'autres bourgades américaines. Tout cela parce qu'elle réclamait d'être ailleurs plutôt qu'ici et ce n'est que tardivement que son fils compris qu' "ici, cela voulait dire l'endroit à l'intérieur de sa tête où les choses tournoyaient en une boucle sans fin. Là-bas, c'était l'endroit qu'elle essayait d'atteindre en permanence, où elle serait heureuse".
Ailleurs s'impose à nous à la fois par la présence (et même l'omniprésence) de Jean, cette femme insaisissable, toujours sur la brèche, à la fois forte et vulnérable mais aussi par la voix de son fils -toujours présent à ses côtés- qui réussit à communiquer son infini attachement envers elle, la variété et la complexité des sentiments qui le meuvent. Vous l'aurez deviné, j'ai grandement aimé la manière qu'a eu Richard Russo de rendre palpable d'une part la détresse de sa mère et de l'autre sa dévotion à lui tout autant que ses limites morales et matérielles devant l'attitude de cette femme émotionnellement instable. L'auteur porte un regard plein de tendresse et de pudeur pour cette mère qu'il a aimé sans limite mais qu'il n'a finalement compris que trop tard.

Dans un premier temps, j'ai pensé que ce livre faisait simultanément le tableau d'un amour exclusif et excluant entre une mère et son fils unique tout autant que le portrait de cette mère célibataire farouchement attachée à son indépendance (bien que celle-ci soit précaire et dépende du bon vouloir et surtout de l'indulgence de ses proches). En fait, c'est bien plus que cela. Ailleurs c'est tout à la fois le récit d'une révélation, une demande de pardon et le tableau de la société américaine de 1930 à nos jours et le portrait de ces américains nés ou ayant grandi pendant le Dépression.. Ce roman sensible et juste est judicieusement rythmé par les moments de joie, de tendresse mais aussi de honte et de détresse, sans indécence ni pesanteur. Enfin, Ailleurs est aussi un vibrant hommage d'un fils devenu écrivain grâce à la présence et à la volonté d'une seule femme - "Grâce à ma mère j'ai appris que lire n'était pas un devoir mais une récompense".

J'ai aimé lire ce roman sensible et intelligent et qui m'a donné envie de connaître davantage l'oeuvre romanesque de Richard Russo.


L'auteur :
Ecrivain américain né en 1949, Richard Russo est docteur es philosophie et à obtenu par la suite un Master of Fine Art. Avant de se consacrer à son métier d'écrivain et de scénariste, il occupait la fonction de professeur de littérature (métier qu'il évoque dans ce roman). 
Russo a obtenu le Prix Pulitzer pour Le déclin de l"empire Wainting, on lui doit également Le pont des soupirs et Les sortilèges de Cap Cod tous publiés par les éditions de La Table Ronde.

Et plus si affinité :
Lire le billet d'une blogueuse grande admiratrice de Richard Russo sur son blog cunéipage.