mercredi 4 février 2015

L'invité(e) du Bruit délivre (3)

Avatar d'Hélène créé par ses soins.
Mon invitée se prénomme Hélène. Libraire expérimentée, elle est passionnée de littérature et tout particulièrement de littérature étrangère. En plus d'être une lectrice attentive des classiques anglo-américains (Jane Austen ou les soeurs Bronté), Hélène est passionnée de littérature.
Je suis doublement contente car non seulement elle a spontanément accepté mon invitation mais en plus elle a choisi un roman publié par les éditions de "La Table Ronde" -une maison d'édition que j'aime particulièrement. Je vous laisse maintenant découvrir son coup de coeur :

Son coup de coeur :
 Aristote mon père, Annabel Lyon

"Il faut être pris d'une terrible passion, pour attendre avec fébrilité le nouveau roman d'un auteur.
C'est le cas ici pour Annabel Lyon et son livre Aristote mon père .
Son premier roman Le juste milieu, fut un excellente surprise et, en même temps qu'il révélait une très bonne plume, apportait une variante au roman historique.
En effet, l'auteure utilise les codes du roman historique traditionnel : précision des repères historiques, personnages réels et fictifs, éléments romanesques etc... mais elle donne en plus à ses personnages une autre dimension, une autre consistance tant les traits physiques et le caractère sont dépeints avec précision.
Ici, l'auteure centre son roman sur l'histoire de Pythias, la fille d'Aristote. Le rapport père-fille, professeur-élève, est très présent dans la première partie du roman (à noter que dans son premier roman, Annabel Lyon basait aussi son histoire sur ce même rapport quasi-filial entre Aristote et le futur Alexandre Le Grand).
A la suite d'un élément déclencheur, le roman prend une autre tournure, lorsque Pythias, cette jeune femme « trop » éduquée, « trop » intelligente, « trop » libre pour les standards de l 'époque, doit lutter pour trouver une place dans une société qui en laisse si peu aux femmes.
Entre roman historique et étude de caractère, Aristote mon père pose un regard averti sur les problématiques sociétales d'une société transposées à la nôtre et aborde la question de l'héritage philosophique. Précieux objet de lecture il est tout cela et bien plus encore : vous  tournez les pages avec un plaisir immodéré et une fois le livre clos, vous portez ce récit et les réflexions qui en découlent en vous "


Et plus si affinités :
Les éditions de "La Table Ronde":
Lancées en 1944 à Paris par Roland Laudenbach, Jean Turlais et Roger Mouton, les éditions de "La Table Ronde" sont d'abord liées à la revue du même nom. Si elle doit son nom à Jean Cocteau qui voulait mettre en avant son esprit de groupe, c'est à la personnalité de Roland Laudenbach que cette maison doit ses premiers succès avec notamment la parution d'Antigone de Jean Anouilh (qui demeure une des publications les plus importantes). Puis suivent dans les années 1950 les écrits de François Mauriac, de Henry de Montherlant ou encore de Jean Giono (Un roi sans divertissement). A côté de ces auteurs déjà renommés, Laudenbach publie d'autres générations d'écrivains : tout d'abord ceux que la critique a surnommés "les Hussards" (Antoine Blondin, Michel Déon, Jacques Laurent et Roger Nimier) puis d'autres personnalités comme Alphonse Boudard, Gabriel Matzneff ou encore Éric Neuhoff.
En 1990 La Table Ronde et son nouveau directeur Denis Tillinac publient Jean-Paul Kauffmann, Frédéric Fajardie ou Jean-Claude Pirotte. En 1992 naît la collection de poche sous le joli nom de "La petite vermillon". Puis en 1997 -en faisant l'acquisition de la collection "Quai Voltaire"- la maison s'ouvre au domaine étranger. Sont alors publiés les romans d'Alice McDermott, de Tracy Chevalier, de Richard Russo ou d'Annabel Lyon.
En 2007 Alice Déon reprend la direction de la maison d'édition et nomme Françoise de Maulde en tant que directrice littéraire. Grâce au travail de ces deux femmes vous pouvez retrouver sur ce blog les coups de coeur suivants : L'idiot du palaisMonastère, Ailleurs, La pirouette, Mélisandre! Que sont les rêves, Heureux comme jamais.

dimanche 18 janvier 2015

Charlie Hebdo

La Une du Charlie Hebdo n°1058 signée Charb
Charlie Hebdo et moi :
Je n'avais pas le coeur de publier depuis les événements tragiques de la semaine dernière alors même que la chronique de mon 3ème invité et que mon dernier coup de coeur étaient programmés depuis plusieurs jours. Si j'édite maintenant c'est après avoir accepté l'invitation faite par certains blogueurs de rendre un modeste (et maladroit) hommage aux victimes de Charlie Hebdo. Normalement cet article aurait dû paraître le mercredi 14 soit une semaine après la tragédie, sauf que je n'étais alors pas prête à rendre une quelconque copie. Finalement, voici cette chronique une semaine après la marche républicaine qui a uni au moins 4 millions de personnes. Au cours de cet article, je ne vous parlerai pas de ce sentiment d'avoir perdu des personnes qui à certains égards me semblaient proches, de cette impression de vivre dans une société dans laquelle je me retrouve de moins en moins, de ce malaise qui me tenaille, ni de cette boule au ventre qui ne me lache pas depuis le 7 janvier mais uniquement mon rapport à ce "journal irresponsable".
Non, je ne suis pas abonnée à Charlie hebdo (je ne m'abonne à rien même pas aux quotidiens que je pourrais acheter tous les jours...) mais ce journal je le lis régulièrement -et jamais avec regret- attirée par une Une, un trait d'humour et d'esprit, un jeu de mots ou simplement pour avoir le plaisir de renouer contact avec des rubriques et des personnages momentanément laissés en retrait.
Je ne suis pas non plus une grande lectrice de BD (je dois même avouer que je suis assez nulle dans ce domaine) et pourtant j'ai aimé lire et recevoir -grâce à des parents et des proches grands lecteurs de bandes dessinées et de journaux satiriques- les recueils de Reiser, Cabu, Tardi ou encore les Mafalda et Peanuts que j'ai eu entre les mains. En fait j'ai l'impression d'avoir été assez tôt sensibilisée à l'art du dessin de presse, de la caricature mais aussi à l'humour qu'il soit tendre, potache, noir, pince-sans-rire... Et Charlie Hebdo c'est de l'humour informatif à chaque page.
D'ailleurs n'est-ce pas le propre de ce dernier que d'être irrévérencieux, tout à la fois impertinent (dans la forme et le ton) et pertinent (dans le fond), de nous bousculer dans nos certitudes, de nous avertir sur les dérives de notre société ou bien encore de poser un regard différent sur le monde dans lequel nous évoluons?  Charlie Hebdo c'est pour moi une aventure humaine et intellectuelle menée par des journalistes professionnels, des citoyens lucides et courageux, des pacifistes forcenés, des défenseurs acharnés des libertés (dont la liberté d'expression) et de la laïcité. Je ne suis pas forcément en accord avec l'ensemble de leurs publications -ça peut parfois picoter ou démanger- mais j'admire leur opiniâtreté et leur talent. Car il faut un immense talent pour réussir en quelques traits et répliques bien senties à rendre la complexité et les travers de notre société et à pointer nos défauts les plus insupportables. C'est justement cette façon de faire du journalisme, cette "façon fraternelle de s'adresser aux gens" [comme l'a justement dit Philippe Val à France inter], de faire débat en faisant rire avec des sujets sérieux qui vient d'être exécutée.
Les premières figures auxquelles je pense en écrivant ce texte c'est celle de Cabu (Ah Récré A2 avec les apparitions du Grand Duduche et Mon Beauf chanté par Renaud) et de Wolinski dont les dessins, les rires et -pour ce dernier- les coups de gueule ont accompagné de nombreuses générations. Puis surgit celle de Charb avec ses personnages si reconnaissables -avec leur tronche de travers, leur teint jaunâtre, leurs yeux globuleux. Charb et ses répliques implacables, ses dictons du jour sans cesse inspirés et ses deux animaux de compagnie (peu fréquentables mais franchement drôles) Maurice et Patapon "moins bêtes que méchants" mais désormais orphelins.
Histoire de remettre, le temps d'une chronique, un peu de légèreté et de gentille méchanceté dans cet univers de brutes haineuses, je vais consacrer les quelques lignes suivantes à ces deux larrons qui m'amusent tant.

Maurice et Patapon :


Créée en 1999, cette série de BD - composée de six tomes (dont quatre publiés par les éds Hoëbeke et deux par les éds Les Echappés)- est fidèle à l'esprit de Charb : anti-FN, laïque, contre la société de consommation, le politiquement correct et l'obscurantisme.
Portée par un chien prénommé Maurice et un chat portant le nom de Patapon, cette bande dessinée (une juxtaposition de saynètes en fait) fait mouche à chaque page. La présence de ces deux compères (cons pères râleurs, bavards, observateurs féroces et vifs d'esprit qui ne perdent aucune occasion de disserter sur le monde) permettait à son auteur d'aborder une grande variété de sujets tantôt anodins tantôt de société et ce en utilisant les différents registres de l'humour potache (du scatologique au pornographique en passant par toute les formes d'irrévérence et de désacralisation). Chacune de ces vignettes révèlent alors un sens du rythme, de la concision et de la formule magistralement maîtrisé. Attention à ne pas mettre entre toutes les mains ou devant des yeux innocents !






On peut toujours taxer cet humour de facile et/ou de grossier mais quelle efficacité et quelle audace ! 
Charb concevait les histoires de Maurice et Patapon (un mix entre Maurice Papon et "Et ron et ron, petit patapon" ?) comme des instantanés et les dessinait avec la même économie de moyens (rarement plus trois vignettes juxtaposées, pas plus de trois couleurs différentes, un arrière plan monochrome, pas de fioritures, une seule action par vignette) et le même sens de la répartie que ceux utilisés pour concevoir ses dessins satiriques (trois paroles et le tour est joué !). Le caractère cinglant des saynètes suscitait ainsi une réaction franche chez les lecteurs que ce soit le rire, la surprise, le sentiment d'exagération... Charb ne faisait pas dans la dentelle.
Maurice -le chien orange (du moins pour les versions les plus récentes), obsédé par le sexe et la merde, extraverti, crade et anarchiste- occupe essentiellement le devant de la scène tandis que Patapon -le chat jaune tigré, asexuel, hygiéniste, cruel, placide voire passif- regarde plus souvent qu'il n'agit sauf lorsqu'il s'agit d'écraser des coccinelles et des fourmis (comme on peut écraser un mouvement de grève dans certains pays) ou de lacérer des objets, des personnes ou des oisillons. Les deux se complètent et finalement s'accordent plutôt bien. Ils ont beau avoir l'apparence d'animaux de compagnie, ils réagissent comme des êtres humains avec leurs blagues et philosophie de comptoir ou leur regard sur la société tantôt amusé tantôt désabusé mais toujours déconcertant car sans aucune retenue. Tout le monde en prend plein la gueule quelque soit sa position sociale, politique et religieuse. Parce qu'il en avait marre que les animaux servent "de support à l’expression de nos sentiments les plus mièvres et les plus cul-cul…", Charb avait fait d'eux des personnes à part entière, capables de s'insurger ouvertement et d'exprimer des sentiments et des avis tranchés. J'ai été touchée lorsque j'ai vu revivre ces deux affreux personnages dans le dernier Charlie Hebdo grâce au coup de crayon de Luz.

Les albums Maurice et Patapon par Charb (dessins et textes) :
*aux éds Hoëbeke :
Coupables, forcément coupables, 2005 (il s'agit en fait de la réédition en couleur du hors-série n°1)
Ça rafraîchit, 2006 ( réédition en couleur du hors-série n°2)
La France qui se lèche tôt, 2007
Hausse du pouvoir d’un chat . 2009
*Aux éds Les Echappés: 
Ni dieu ni maître!, 2012
Mariage pour tous, 2013
*Les premières versions de cette BD  sont parues aux éds Charlie Hebdo en tant que hors-séries (1999, 2000 et 2005)


Et plus :
Être dessinateur de presse à Charlie Hebdo  :

(vidéo mise en ligne par PublicSenat)

Chez les autres blogueurs (liste non exhaustive):
Sur Cabu :
Les impubliables, de Cabu et Wozniak chez Vdujardin
Dessins cruels, chez blog o noisettes
New-York, chez Marion
L’intégrale beauf, chez une case en plus
Le Grand Duduche, chez Karine
Carnets d’un fou de jazz, chez Solenn
Sur Charb :
La vie de Mahomet, chez Yaneck
Maurice et Patapon, chez O comme Colomb
Maurice et Patapon, chez Fan de BD
Sur Tignous :
Pandas dans la brume, chez Melo
Les thématiques :
"Dessinateurs de presse", chez Caro
"Quand le 9e art rend hommage à Charlie", chez Noukette
"Hommage", chez Violette

Enfin même si le but de cette page est de rendre hommage à Charlie Hebdo, dans un tel contexte il m'est difficile de ne pas avoir une pensée pour les personnes décédés durant ces trois jours d'effroi : Cabu, Wolinski, Charb, Bernard Maris, Elsa Cayat, Tignous, Honoré, Moustapha Ourrad, Michel Renaud, Franck Brinsolaro, Frédéric Boisseau, Ahmed Merabet, Clarissa Jean-Philippe, Philippe Braham, Yohan Cohen, Yoav Hattab, François-Michel Saada.

mardi 30 décembre 2014

Un monde flamboyant

Siri Hustvedt, Un monde flamboyant, éds Actes Sud

Mon coup de coeur :
Quelques mois après son décès, Harriet Burden surnommée Harry -une artiste à la personnalité complexe et l’oeuvre austère- fait l’objet d’une recherche universitaire mené par I.V. Hesse qui ,en rassemblant de nombreux et riches témoignages des personnalités qui ont l'ont côtoyée, propose une enquête "work in progress" ayant pour arrière-plan le marché de l’art new-yorkais. Pages après pages le récit éclaire progressivement le parcours de cette femme qui fut à la fois l'épouse aimante d’un influent et richissime marchand d’art dans l’ombre duquel elle a vécu, une mère affectueuse, présente et inventive, une  maîtresse extravageante mais aussi une artiste incomprise. Un Monde flamboyant n'oublie aucun des aspects de sa personnalité et les fait se dialoguer, se confronter et s'enrichir mutuellement.                                                                                                  
26 ans, Harriet Burden -grande et gironde femme d'1m88- tombe follement amoureuse de Felix Lord -un galeriste reconnu de 20 ans son aîné- au point de mettre de côté ses aspirations d'artiste pour n'être qu'épouse puis mère. La mort subite de ce dernier va réveiller chez elle un besoin urgent et inattendu de s'accomplir en tant qu'artiste et d'être reconnue en tant que telle. Ainsi Harry se précipite t-elle corps et âme dans le monde de l'art contemporain new-yorkais. Mais l'accueil des critiques et des galeristes est plus que glacial. Les premières expositions signées de son nom furent sujettes à des railleries et à du mépris. Plus qu'une désillusion, c'est un désenchantement pour cette femme qui va alors imaginer un subterfuge complexe, radical et machiavélique pour convaincre les professionnels de l'art du bien fondé de ses oeuvres. Influencée par les quelques femmes qui sont devenues des "hommes" illustres dans leur domaine de prédilection ( à l'instar de "Billy Tipton, musicien de jazz renommé, né Dorothy Lucille Tipston en 1914" dont les p43-44 rendent compte de ces parcours hors-norme), Harry va demander à trois artistes hommes aux univers, tempérament et parcours différents de prendre possession de ses poupées et de ses installations aussi singulières voire dérangeantes soient-elles. Dès lors, le public et les galeries vont apprécier successivement les expositions d'Anton Tisch (un jeune homme séduisant mais novice et psychologiquement perturbé), de John Whittier alias Phineas Q. Eldridge (qui avait le double avantage de savoir ce qu'est le "mal identitaire" -lui qui avait changé de nom  "pour célébrer (son) deuxième avatar"- et d'être déjà admis par le milieu) et de Rune (un artiste confirmé qui pouvait même se vanter d'être une des coqueluches new-yorkaises d'alors). Chacun -en revêtant provisoirement le masque d'Harriet Burden- va exposer secrètement mais avec succès les oeuvres iconoclastes de leur Pygmalion. Toutefois, le retour de bâton va être cruel car non seulement chacun de ces hommes va vivre difficilement les conséquences de cette usurpation d'identité mais encore le subterfuge va confirmer ce que Harry redoutait, à savoir que le milieu de l’art new-yorkais est profondément sexiste mais également rancunier. Car s'il y a eu mystification au nom de l'art, il y a surtout eu un affront cinglant fait au public et aux connaisseurs. Si le roman rend compte d'un rapport de force coriace entre Harriet Burden et la critique, il dénonce par ailleurs le manque d'équité qui régit le monde de l'art contemporain, car non seulement les expositions montées à New-York et signées par des femmes sont minoritaires mais encore leurs œuvres se vendent bien moins chères que celles d'artistes masculins et sont moins bien relayées par les médias que celles de ces derniers. Malgré un surnom masculin derrière lequel elle aurait pu se cacher, Harriet Burden se voit systématiquement contrainte par la société et même par ses proches à jouer les rôles de femme, de mère ou d'amante. Plus qu'une biographie fictive, Un monde flamboyant c'est également une critique socio-économique du monde de l'art et d'une certaine frange de la société américaine fondamentalement conservatrice.

Derrière le masque de I.V. Hesse, Siri Hustvedt propose une lecture "attentive" des carnets de l'artiste Harriet Burden et un portrait en mosaïque de cette dernière grâce aux déclarations protéiformes des personnes qui ont évolué à ses côtés. Longtemps cantonnée dans le rôle d'épouse parfaite (de potiche ?) auprès de feu son mari critique d'art, Harry fait de son veuvage un moment d'émancipation. Mais comment fait-on pour passer d'épouse discrète à artiste possédé et intransigeant ? A travers son parcours, le récit nous questionne sur de nombreux points.

Au-delà des thèmes des souvenirs personnels et subjectifs que chacun de nous pouvons avoir d'un proche ou d'un événement et de la condition des femmes dans un univers majoritairement masculin (à l'instar de la propre place de l'auteur qui fut longtemps appelé Mme Paul Auster), le parcours d'Harriet Burden interroge sur ce qu'est l'Art, ce qui fait un artiste (est-ce celui qui fait ou celui dont le nom est inscrit sur l'oeuvre ?), sur notre manière de percevoir et comment cette perception peut être influencée par des considérations externes "nous voyons surtout ce que nous nous attendons à voir". Au final ce récit parle avec intelligence tout autant du parcours chaotique d'une femme artiste intransigeante et excentrique, que de notre façon souvent orientée d'accéder aux oeuvres et que d'un milieu artistique new-yorkais cloisonné et intolérant. Quelqu'un aurait-il eu le courage d'exposer les oeuvres d'Harry si le fait qu'elle en soit l'auteur avait été rendu publique ? Elle-même doutait de la capacité du milieu artistique et culturel à accepter son travail et encore moins à en donner une valeur artistique et pécuniaire :"Je soupçonnais que si j'étais arrivée sous un autre emballage, mon oeuvre aurait pu être accueillie ou, du moins, approchée avec plus de sérieux." Son ambition était d'être acceptée et reconnue aussi bien en tant que femme qu'en tant qu'artiste. L'un des versants ne devant pas dévaloriser l'autre.

J'ai aimé les récits enchâssés qui constituent ce roman, la variété des formes narratives convoquées (la succession de lettres, d'entrevues, d'articles ...) ainsi que celle des genres littéraires utilisés (Un Monde Flamboyant est tout à la fois un roman, une biographie, un essai sur l'art et/ou sur la condition des femmes et le tableau d'une certaine société américaine). D'autant plus que le tout constitue un ensemble cohérent et captivant. Mais je me dois de signaler que cette lecture est d'autant plus exigeante et difficile d'accès que le jeu de faux-semblant élaboré par l'auteur est réussi mais retors. D'autant plus que celui-ci reste fidèle à la complexité du personnage d'Harry, la révélant successivement amoureuse, passive, fragile, passionnée, autoritaire, sensuelle, généreuse, subversive, manipulatrice, combative et surtout changeante et en proie à une quête identitaire sans fin.

Finalement Un monde flamboyant est à l'image de cette femme : hors-norme, ambiguë, insaisissable, complexe et captivant. Siri Hustvedt se joue des frontières entre la réalité et la fiction pour faire de son récit labyrinthique et trans-genre un ovni qui oscille tantôt vers la biographie tantôt vers l'essai tantôt vers la fiction, laissant son lecteur envahi par un sentiment conjoint de curiosité et de perte de repères. Cela m'a tour à tour amusée, surprise, charmée, intriguée mais au final je suis contente d'avoir eu accès à cette oeuvre qui n'est peut-être pas mon coup de coeur de la rentrée mais que je trouve personnellement enrichissante et même divertissante. J'aime les récits qui déstabilisent leur lectorat et le force à devenir un acteur de leur propre lecture. Merci aux matchs de la rentrée littéraire PriceMinister-Rakuten de m'avoir permis de lire ce roman et de découvrir un auteur.


L'auteur :
Née de parents d'origine norvégienne, Siri Hustvedt est une poétesse, essayiste et romancière américaine. Mariée à l'écrivain Paul Auster, elle vit à Brooklyn avec leur  fille Sophie.
Ses œuvres -publiés en France par les éditions Actes Sud- sont à ce jour traduites dans seize langues.
Certaines comme Les Yeux bandés (1992) ou Tout ce que j'aimais ont connu un succès international retentissant. Déjà dans certains de ses précédants livres - dont La femme qui tremble (2010) et Vivre Penser Regarder (2013)-  Siri Hustvedt interrogeait la place des femmes dans la société actuelle et les formes variées que peuvent prendre la fiction romanesque.

Et plus si affinités :
A l'instar de la fictive Harriet Burden, d'autres artistes réellement vivants ont élaboré des subterfuges dans leur art de prédilection :
Il y a seize ans de cela, l'écrivain William Boyd inventait ex-nihilo l'existence d'un artiste américain prénommé Nat Tate soit disant tombé dans l'oubli. Celui-ci aurait marqué de son empreinte les années 50 avant de sombrer intégralement dans l'anonymat. Grâce à quelques dessins effectués de sa main et à la complicité de quelques personnalités comme Gore Vidal et David Bowie. la mystification dura plusieurs semaines avant qu'un journaliste ne vendit la mèche provoquant alors un bref mais intense scandale... Toutefois l'artiste fictif n'a depuis pas totalement disparu puisque "Nat Tate" a fait l'objet de plusieurs documentaires, la biographie rédigée par son créateur a même été traduite en français (publiée au Seuil) et en allemand, et l'un de ses prétendus dessins -le "pont n° 114"- a fait partie d'une vente aux enchères à Londres. William Boyd justifia a-posteriori son canular par cette déclaration brève mais efficace : "Mon but premier était de démontrer combien une pure fiction pouvait être puissante et crédible et, dans le même temps, d'élaborer une sorte de fable moderne sur le monde de l'art ".
Des années auparavant, une autre supercherie littéraire avait fait la Une des journaux : celle de Romain Gary/Emile Ajar. Afin de démontrer qu'un auteur n'est pas forcément réduit à un unique style reconnaissable parmi tant d'autres, Romain Gary se promet d'écrire des romans sous une autre identité sans que quiconque puisse reconnaitre l'auteur derrière le masque. Pari réussi haut la main puisqu'il est à ce jour le seul romancier à avoir gagner deux Goncourt sous deux noms différents : en 1956 pour Les Racines du ciel signé Romain Gary et la seconde fois sous le pseudonyme d’Émile Ajar en 1975 pour La Vie devant soi.

Et toujours plus :
Découvrir l'univers de la plasticienne Louise Bourgeois qui s'est souvent heurtée à la pensée conventionnelle des critiques et des galeristes de son époque et dont le parcours chaotique a inspiré Siri Hustvedt lorsque cette dernière a dû inventer le personnage d'Harriet.

lundi 24 novembre 2014

C'est lundi, que lisez-vous ? (47)




C'est lundi, que lisez-vous ?

A l'origine, il s'agit d'un rendez-vous hebdomadaire inspiré par les It's Monday, what are yoou reading ? by One Person's Journey Through a Wolrld of Books et repris par Mallou puis Galleane.  Après avoir testé cette formule durant un an, j'ai décidé d'en faire un rendez-vous mensuel et de ne le publier que le dernier lundi du mois. Mais comme dans la précédente version, il s'agira établir un échange autour de nos lectures passées, en cours et à venir.

Désolée pour cette longue absence. J'ai mis à profit ces deux derniers mois pour me reposer, partir en vacances mais aussi pour lire La Preuve et Le troisième mensonge -les deux derniers volumes du grand cahier d'Agota Kristof (éds point Seuil)- mais aussi Un monde flamboyant de Siri Husvedt (éds Actes Sud) et Un grand père tombé du ciel de Yaël Hassan. Je prépare d'ailleurs une chronique pour chacun de ces titres.
Je lis actuellement le premier tome de Strom (Le collectionneur) de Benoît de Saint-Chamas (éds PKJ).
Je ne suis pas certaine que ce mois de décembre soit le mieux adapté pour s'immerger dans des livres... mais figurent toujours dans ma PAL des titres de la dernière rentrée comme Price de Steve Tesich (éds Monsieur Toussaint Louverture) ou L'Homme Provisoire de Sebastian Barry (éds Joëlle Losfeld) mais aussi des romans que j'ai eu le bonheur de recevoir à domicile tels que Ce que j'ai voulu taire de Sandor Marai (éds Albin Michel), Vous parler de ça de Laurie Halse Anderson (éds La belle colère) ou La Diligence rouge de Gyula Krùdy (éds Circé).
En attendant la prochaine chronique de "C'est lundi...", je vous souhaite de belles semaines à venir et n'hésitez pas à partager vos impressions et/ou idées de lectures.
A bientôt. Promis je n'attendrai pas autant de temps avant de me manifester ;-)