vendredi 8 janvier 2016

D'après une histoire vraie

rentrée littéraire 2015

Delphine de Vigan, D'après une histoire vraie, éds JC Lattès

Mon coup de coeur :
Delphine est une romancière connue et reconnue. Son dernier roman Rien ne s'oppose à la nuit a été un immense succès public et critique et a généré un incroyable engouement -au-delà de toutes ses espérances- la laissant désemparée et épuisée tant physiquement que moralement. Dans ce roman, elle racontait l'histoire de sa mère diagnostiquée bipolaire puisant non sans conséquence dans ses souvenirs d'enfance et dans ceux de ses proches. Au fil du temps et des rencontres organisées par son éditeur, Delphine perd goût aux contacts humains et développe une angoisse de la page blanche. Car comment écrire après s'être autant livrée personnellement ? Où trouver l'inspiration quand tout vous oppresse ? Comment ne pas décevoir l'attente générée par l'incroyable réception de son précédent livre?  Telles sont quelques unes des questions auxquelles Delphine ne peut échapper dorénavant. Et c'est en profitant de cette vulnérabilité que L. va s'engouffrer dans la vie de la romancière et la manipuler, insidieusement au début puis plus explicitement une fois sa proie prise au piège. "L. s'est installée dans ma vie, avec mon consentement, par une sorte d'envoûtement progressif " (...) " En apparence, elle me portait, me soutenait, me protégeait. Mais en réalité, elle absorbait mon énergie. Elle captait mon pouls, ma tension, et ce goût pour la fantaisie qui pourtant ne m’avait jamais fait défaut."

D'après une histoire vraie est donc le récit de l'après Rien ne s'oppose à la nuit, du sentiment d'incapacité ressenti par son auteur depuis l'immense succès de ce roman si personnel, du vide qu'il a laissé et de la manière dont L. va profiter de cette fébrilité. Alors qu'au moment où débute le roman Delphine est libérée de l'emprise de cette dernière, la narratrice décide de revenir sur les circonstances qui ont favorisé cette dépendance et de dévoiler minutieusement toutes les étapes qui ont permis à cette femme de s'imposer à elle.
L. est une femme énergique, secrète, pleine de ressources et au tempérament fort. Elle gagne sa vie en tant que ghost writer et connaît donc bien le monde de l'édition et les problèmes liés à l'écriture. Elle approche Delphine lors d'une soirée et va, à partir de ce moment, multiplier les occasions de la rencontrer et de lui venir en aide. Comme cette dernière nous assistons impuissants à cette vampirisation. De simple connaissance, L. va devenir une amie, une confidente, une doublure, une béquille (littéralement et symboliquement)! Au fil du temps Delphine laisse à celle qu'elle considère comme une amie une place de plus en plus prépondérante dans sa vie personnelle et professionnelle au détriment même de ses proches qui ignorent ce qui se passe. Cette domination se fera autant sur la personne de Delphine -de plus et plus isolée et dépendante- que sur ses biens personnels. L. va notamment s'approprier son agenda, son téléphone, son ordinateur, certains de ses écrits (dont une préface), ses vêtements, son appartement et même la maison de campagne de son ami. Delphine ira même jusqu'à lui confier le soin d'endosser son identité afin d'assurer "sa" présence lors d'un débat avec des lycéens. Le seul point d'achoppement durable entre elles deux est leur conception divergente sur ce que doit être le prochain livre de Delphine. Si la romancière souhaite composer une oeuvre purement fictive, L. a des convictions inébranlables sur ce que doit écrire Delphine et sur ce que ses lecteurs attendent d'elle: ils attendent du VRAI et non du vraisemblable: "Tu n’as pas besoin d’inventer quoi que ce soit. Ta vie, ta personne, ton regard sur le monde doivent être ton seul matériau. L’intrigue est un piège, un traquenard, tu crois sans doute qu’elle t’offre un abri, ou un pilier, mais c’est faux.". C'est à cause de cette ferveur -voire cette fureur- avec laquelle L. tente de convaincre Delphine que cette dernière va commencer à douter de sa "bienveillance".

Pour nourrir son intrigue de Vigan entremêle habilement les éléments biographiques et fictifs. Le personnage de Delphine est à sa propre image. C'est une femme sensible, une romancière connue, la mère de deux enfants, la compagne d'un célèbre journaliste littéraire prénommé François. Mais la question que nous nous posons c'est: qui est réellement L.? Un personnage purement créé pour cette seule intrigue ou le double fictif d'une personne ayant réellement côtoyé l'auteur ? D'ailleurs à quel point cette histoire tient elle de la fiction ??? 
Avec ce récit au titre trompeur (et manipulateur), Delphine de Vigan signe un roman psychologique qui se joue du lecteur -avec son consentement- tout autant qu'elle se joue des genres narratifs "La fiction, l'autofiction, l'autobiographie, pour moi, ce n'est jamais un parti pris, une revendication, ni même une intention. C'est éventuellement un résultat."  Elle réussit à composer sous nos yeux deux livres en un: le premier sur cette histoire d'emprise, le second sur ce qui est à l'origine de ce livre et se joue à travers lui. De cette mise en abîme découlent la question de l'inspiration romanesque et celle de la place de la fiction littéraire dans une société qui reste fascinée par les faits divers et la télé réalité. Pourtant, malgré ces problématiques que je trouve passionnantes il y a un bémol dans cette lecture, à savoir un final que je trouve pas aussi convainquant que le reste du récit car moins bien maîtrisé, plus bancal ou plus tiré par les cheveux. Dommage car jusqu'alors les pages se lisaient sans heurt.

Avec D'après une histoire vraie Delphine de Vigan fait preuve de beaucoup de malice (un choix de sujet ingénieux) et de savoir faire (une narration d'une belle efficacité, à l'exception d'une partie du dernier chapitre). Son récit n'est pas sans me rappeler Misery de Stephen King (la lectrice irrationnellement fan de son auteur), JF partagerait appartement de Barbet Schroeder (la transformation de L. en double de Delphine) ou L'ombre d'un doute d'Alfred Hitchcock (le côté "magique" du personnage qui apparaît et disparaît au bon moment). Comme le personnage de Delphine, le lecteur est prisonnier de cet engrenage et ne sait démêler le vrai du faux. Et si au fil de la lecture la tension s'amplifie, les doutes et l'intérêt du lecteur aussi. Même si Rien ne s'oppose à la nuit m'a davantage convaincue, son auteur nous offre ici un roman captivant, plaisant à lire et à conseiller. Toutefois une petite question subsidiaire demeure: si Delphine de Vigan a réussi à faire du succès phénoménal de son précédent roman le point de départ de son dernier livre je me demande comment et à quel point va t-elle pouvoir se libérer de son best-seller. Suspense...



L'auteur :
Née le 1er mars 1966 à Boulogne Billancourt, Delphien de Vigan est une romancière française. Après une formation au Centre d’Etudes Littéraires et Scientifiques Appliquées, elle devient directrice d’études dans un institut de sondages. Sous le pseudonyme Lou Delvig, elle écrit un premier roman, fortement autobiographique : Jours sans faim (éds Grasset 2001), qui raconte le combat d’une jeune femme contre l’anorexie. Un recueil de nouvelles et un second roman suivront en 2005, publiés sous vrai nom. Puis en août 2008 paraît No et moi (éds JC Lattès) qui reçoit le Prix des libraires, le Prix du Rotary et est adapté au cinéma par Zabou Breitman. L'année suivante paraissent Les heures souterraines (éds JC Lattès). Grâce à ce roman -qui dénonce le harcèlement moral dans le monde du travail- la romancière est pour la première fois nominée au Prix Goncourt. En 2011 parait Rien ne s’oppose à la nuit (éds JC Lattès) qui sera lui aussi en lice pour le Goncourt. Salué tant par la critique que par le public, ce roman obtient de nombreux prix dont le Prix du roman Fnac, le Prix des lectrices de Elle, le Prix France Télévisions et le Prix Renaudot des lycéens. D'après une histoire vraie est son sixième roman et le cinquième paru aux éds JC Lattès. Comme le précédent il rencontre un large succès critique et commercial et a reçu successivement le Prix Renaudot 2015 et le Prix Goncourt des Lycéens 2015.


dimanche 29 novembre 2015

Les enfants de choeur de l'Amérique

rentrée littéraire 2015

Héloïse Guay de Bellissen, Les enfants de choeur de l'Amérique, éds Anne Carrière

Mon coup de coeur:
En 1980, en l'espace de quatre mois, Mark David Chapman et John Hinckley marquent l'histoire et plus particulièrement celle des Etats-Unis. Ils ne se connaissent pas, ne se sont jamais rencontrés et a-priori rien ne permet de les lier si ce n'est l'acte de violence par lequel ils se sont rendus célèbres et leur amour inconditionnel pour un personnage mythique de la littérature: Holden Caulfied, protagoniste du célébrissime L'attrape coeur de J.D. Salinger.
Les Enfants de choeur de l'Amérique c'est le parcours singulier, déjanté et criminel de deux garçons issus de famille monoparentale de la middle-class américaine qui ont grandi dans une relative précarité matérielle, affective et sociale. Ces deux "enfants" se nomment donc Mark David Chapman et John Hinckley. Le premier a assassiné John Lennon alors qu'il admirait le chanteur, le second a tiré sur me président Ronald Reagan afin d'attirer l'attention de la toute jeune Jodie Foster (la belle et paumée Iris dans Taxi Driver). A travers le récit parallèle de leurs deux parcours se dégagent une même solitude, une hyper-sensibilité et un rapport au monde fondamentalement faussé. Afin de souligner leur mal être et leur déchéance, le narrateur prend ici le parti d'alterner leur histoire respective avec celle de deux autres personnages; à savoir Holden Caulfied et l'Amérique elle-même personnifiée par un choeur qui ose clairement faire son autocritique et dire ses blessures, son désarroi mais aussi son indignation vis-à-vis des monstruosités qu'il a laissé faire. Et par-delà les voix des quatre protagonistes surgissent alors celles des victimes. Certaines sont restées célèbres -Marilyne Monroe, Elvis Presley ou les frères Kennedy- tandis que d'autres sont tombées dans l'oubli comme d'Emmett Till, jeune garçon afro- américain battu à mort pour avoir "importuné" une femme blanche et qui plus est mariée. Qu'importe ici toutes ces présences ont la même importance, disent la même vérité, la même tragédie et plongent le lecteur au coeur même de cette société malade, individualiste et sans compassion.
"Enjoy, ne rien posséder et croire que tout est possible, voilà le secret. Parfois, certains de mes mômes ne suivent pas les règles du jeu. Ils pillent, ils tuent ils cognent fort. Je ne suis pas complètement innocente dans cette affaire, la rage ça se transmet. Comme toute bonne mère qui se respecte, j'ai des failles. Je suis la terre qui a vomi ses propres ancêtres...
Je suis la mémoire d'un secret inavouable. Le rêve américain n'existe pas, mais chut ! Il faut y croire pour faire du grand cinéma. 


En s'appuyant continuellement sur des faits véridiques, ce roman raconte non seulement le parcours chaotique de deux des plus célèbres criminels américains mais il narre surtout les névroses d'un pays qui -après s'être s'est fourvoyée jusqu'au point de non retour- a lâchement abandonné ses enfants et a fait de certains d'eux des criminels sociopathes en quête de célébrité et de reconnaissance.

Les enfants de coeur de l'Amérique est un roman qui se saisit des dérives de l'Amérique avec audace, humour et perspicacité. Voici une fiction bien documentée et agréable à lire, avec un parti pris narratif intéressant (même si j'aurais aimé que le choeur soit parfois moins bienveillant) et qui évite l'écueil du pur exercice de style et du sensationnel. Vous l'aurez compris ce roman a été pour moi une des belles découvertes de cette rentrée et il me donne envie de suivre l'avenir littéraire de Héloise Guay de Bellissen.


L'auteur :
Née en 1981, Héloïse Guay de Bellissen est l'auteur du Roman de Boddah (éds Fayard) et de livres aussi bien consacrés au slam qu’à Spinoza. Elle a été libraire puis chroniqueuse pour le site www.bakchich.info (en 2009), et compte parmi ses romanciers fétiches Edgar Poe, Lovecraft, Maupassant ou encore Stephen King.

mercredi 21 octobre 2015

L'invité(e) du Bruit délivre (4)



Mon quatrième invité s'appelle Thomas, comme mes précédents invités c'est un grand lecteur notamment de SF et un passionné de bandes dessinées, il est d'ailleurs community manager pour le Festival International de Bandes Dessinées d'Angoulême

Il nous ici présente une aventure bien particulière survenue un jour de brocante après la découverte d'un livre étrange publié par un auteur et une maison d'édition dont on ne retrouve aucune trace nulle part. J'ai moi aussi effectué quelques recherches pour trouver traces de l'existence de ce roman, en vain...

J'espère que cette lecture vos donnera envie de lire ce roman mais aussi de vous laissez happer pour ces titres que l'on rencontre dans les vide-greniers ou chez les bouquinistes.  Bonne lecture !



I Shot Bob Marley, but I didn't shot intentionally. Oh no oh !

Comme pour la course et la marche à pied, les rues et les places de nos villes tremblent au rythme des vide-greniers et brocantes de toutes tailles. Pas un village qui n’organise pas sa bringue un dimanche d’été attirant les touristes de saison. Malgré une volonté toute romantique d’échapper aux hobbies de monsieur tout le monde me voici donc au fin fond de l’Ardèche, au milieu d’une sympathique décharge rangée et étiquetée à l’affut de choses intéressantes. Quand, hésitant entre acheter un beignet et aller voir les chatons dans leur boite en carton que tient un quinquagénaire à l’air vicieux, mon œil glisse sur une couverture jaune pétante surmontant une photo de Bob Marley tenant un ballon de football. Tu es sûr, encore un livre, me souffle ma conscience de trentenaire. Pourtant. Presque une phrase, ce titre chantant –qui plagie la chanson du reggaeman– m’attire. Je dépense allègrement mes deux euros pour le bouquin pas trop abimé, quelques pages cornées en guise de marque-page, le dos un peu cassé, mais ça le fait. Content de ma trouvaille, je feuillette debout au milieu du champ où se trouvent les stands : « Paris, le 27 mai 1981, les sirènes de police impriment au gyrophare une carte bleue de la capitale. Craignant émeutes et pillages les flics faisaient des heures supplémentaires et agissaient comme si l’élection du 10 était un coup d’état. Mitterrand avait pris ses fonctions semant la panique dans les rangs de la maréchaussée en nommant Gaston Defferre -qui avait exigé et obtenu du nouveau boss d’être- ministre de l’Intérieur. Personne ne les contrôlait plus, les syndicats et les grands flics négociaient, les commissaires fermaient les yeux sur les abus, les tabassages, les gardes à vue sans motif, les chefs de patrouilles priaient pour ne pas avoir à remplir le PV de la prochaine bavure, et les troufions appliquaient leur loi sur le terrain. 

Seul un abruti irait volontairement emmerder les forces de l’ordre dans ce chaos. Et plus d’une heure et demie après avoir laissé mon identité au bureau d’accueil, j’attendais toujours dans le hall du commissariat. Des familles, des jeunes, des policiers attendaient, s’annonçaient, passaient, mais je fus le seul à rester. Je retournais au bureau quand le préposé salua un homme qui sortait de l’ascenseur en l’appelant commissaire.  Je me jetais à sa suite et scandait mon histoire le plus vite possible avant que le planton ne s’approprie mon bras. Il entreprit de m’évacuer au plus vite tandis que le commissaire me répondait sans l’arrêter : jeune homme, en ce moment, les complots aussi nombreux que les infiltrés du KGB; et croyez-moi je prends surement le café avec eux tous les matins. »

De retour à la maison, je lus les 731 pages d’une traite. Entre polar et journal intime,  I Shot Bob Marley, but I didn't shot intentionally. Oh no oh ! se révèle composite et paranoïaque. L’auteur multiplie les notes, les inserts, les extraits de chansons ; des chapitres entiers sont des biographies de personnages, des citations apparaissent ici et là et tout ce métatexte nous donne à comprendre l’histoire. Au lecteur d’assembler les fragments pour reconstituer l’intrigue. Qui tient en ces quelques mots : l’assassin de Bob Marley cherche lui-même les commanditaires du meurtre. Sans le savoir, un jeune journaliste se retrouve complice d’une vaste conspiration visant à éliminer tous les patients d’un docteur allemand, dont le célèbre chanteur. 
Une histoire qui s’appuie –d’après l’éditeur, dans  son Avertissement– sur des faits réels, mais dont on a du mal à démêler le réel de la fiction. Après quelques recherches sur le net il semble que les personnages, les dates et les évènements appartiennent à cette première catégorie (je développe et j’ajoute des liens en bas de page).
Romain Hincker, 24 ans, vient d’entrer à la rédaction de Rock and folk après deux ans d’aller-retour, pour apporter ses textes et venir les chercher avec la même mention « refusé ». L’article qui lui vaut les honneurs de rencontrer le patron en avril 1977 est un essai sur le dérapage d’Éric Clapton durant un concert à Londres où il tient des propos racistes, quelque temps après avoir lancé la carrière d’un inconnu : Bob Marley. Un chanteur jamaïcain à qui il va emprunter la chanson « I Shot the Sheriff » (avec laquelle Clapton  parviendra à la première place du hit-parade 1974) qu’il popularisera en même temps que son auteur. L’article de Hincker est osé, documenté aussi la rédaction lui offre une chronique régulière.  Mai 77, Bob Marley arrive à Paris pour faire la promotion de son nouvel album Exodus. Parmi les vétérans, Romain se voit convié à accueillir la star du reggae, mieux il est désigné pour jouer dans le match organisé pour faire plaisir à Marley et ses musiciens. Il n’arrive pas à croire à la chance qu’il a. jusqu'au moment où durant cette mythique partie de foot, au pied de la tour Eiffel, le chanteur se voit contraint de repartir blessé. Un doigt de pied arraché, la lésion s’infecte dangereusement et Bob Marley refuse l’amputation qui pourrait lui sauver la vie. Atteint d’un cancer généralisé, le musicien se savait condamné, mais avait tout fait pour garder le secret et continuer ses concerts. Quelques mois plus tard, il annule sa tournée et part subir un traitement à Rottach-Egern en Bavière. Le docteur Josef Issels teste diverses méthodes alternatives et prolonge la vie du chanteur non sans souffrances. La star tente de revenir en Jamaïque, mais doit être placée en soins intensifs au Miami Cedars Sinaï Hospital où il décède le 11 mai 1981.
Après ce terrible match, Romain Hincker se voit remercié sans préavis. Sa carrière dans le magasine se termine là, mais la mort conjointe de l’icône jamaïcaine (après les séances chez le controversé Dr Issels) et l’assassinat de Salvatore Inzerillo, tous les deux âgés de 36 ans, l’interpelle. Salvatore, présenté comme un membre de la Cosa nostra, était à Paris au moment du passage de Marley et servait de chauffeurs aux journalistes. Un choc pour Romain. Tout lui revient : la proposition du rédacteur d’assister à cette rencontre alors que d’autres pigistes plus anciens furent écartés, l’aubaine que Salvatore ait ses chaussures de sport dans la voiture, les gars qu’il ne connaissait que depuis deux semaines qui sans relâche lui faisait des passes pour dribler et attaquer dans les jambes de Marley,…. Après quelques recherches, il apprend que ce même 11 mai 1981 paraît Mein Kampf gegen den Krebs. Erinnerungen eines Arztes (Ma lutte contre le cancer : Mémoires d'un médecin) du Dr Josef Issels aux éditions Bertelsmann sans mentions du chanteur, pourtant son plus célèbre patient. Le livre fait polémique dans les médias allemands car on accuse le docteur d’être un ancien nazi –en plus d’un charlatan. Un trop-plein de coïncidences qui décide le jeune homme à enquêter pour de bon. La paranoïa réaménage son nid, déjà bien douillet.
Romain est seul, il s’enlise dans une enquête qui n’a pas de sens. Son temps se répartit entre les archives, la bibliothèque nationale où il épluche les journaux du monde entier et les salles d’attente du consulat de Jamaïque. Épuisé, surmené par le travail et le trop-plein d’informations il n’arrive plus à se reposer. Il pense que son appartement a été visité, que certaines voitures se ressemblent trop pour être le fruit du hasard, que plusieurs personnes fréquentent la bibliothèque aux mêmes horaires que lui ou que certains de ses amis lui posent des questions ambiguës. Il n’ose plus en parler, se sépare de sa compagne pour un temps et improvise une vie d’agent secret –sans argent, sans panache, ni excitation. Seulement l’inconfort, la solitude et la peur.
Une psychose qui transparait dans la composition du livre avec des chapitres où le fond et la forme semblent codés. « Cher Victor, je t’enverrai deux cartes postales chaque semaine (au cas où ils me surveillent, ils ne t’en enverront qu’une), si deux semaines passes et que tu n’as rien ou une seule plusieurs fois : tu sais quoi faire ! Merci pour tout. Voici les adresses où tu trouveras les documents. 
CD //Le relais du vin,  85 Rue Saint-Denis : Coupures de journaux dans une enveloppe kraft sous la marche la plus basse de l’escalier. 
BK // Le Bougainville, 5 Rue de la Banque : pochette violette avec notes scotchées sous la banquette du fond. 
RB// Au petit bar, 6 Rue du Mont Thabor : chaussures de football appartenant à Salvatore Inzerillo dans un sac de sport demande à la patronne. 
XD // Bâtiment Japon à la cité universitaire, 17 Boulevard Jourdan : copies vidéos dans un sac en papier demande Mr Matsumoto 

11// Paroisse Sainte-Anne de la Butte-aux-Cailles, 188 Rue de Tolbiac : unique exemplaire du dossier de Robert Nesta Marley volé dans les bureaux du Docteur Issels  caché derrière la reproduction de L’Incrédulité du Caravage. »

Suit deux cartes postales représentant des vues de la tour Eiffel (lieu du drame) annotées : « CD BKRB XD et 11 mai dix-neuf cent quatre-vingt-un.» Cryptographie et codes secrets, messages cachés, côtoient un journal des rêves, un extrait du bottin de 81 (l’auteur semble avoir emprunté le procédé à Modiano), des transcriptions de conversations téléphoniques, …
Mais plus étonnant : le narrateur se permet des variations au fil du texte. Des réécritures de passages déjà écrits, il ne s’agit pas d’erreurs ou d’oublis, mais bien de reprises comme pour une chanson. Ainsi dans le chapitre 6 il écrit une première version « Want More (in case) » : « Le chauffeur de taxi refusa, puis s’inclina quand je lui racontais tout et lui donnait quelques billets. J’imagine que plus de gens seront au courant, mieux se sera.  Il me fallait rejoindre Munich pour visiter la clinique du Dr Issels à Rottach-Egern. Mais le nouvel aéroport se trouvait maintenant à Roissy et nous nous perdîmes plusieurs fois avant d’arriver devant cette ville hors du temps. L’entrée ressemblait à une chambre d’hôtel version cathédrale avec ses moquettes, ses distributeurs et ses fenêtres géantes. Le chauffeur voulait m’accompagner, gratis, pour pouvoir raconter à sa femme et ses gosses comment c’était. » qu'il reprend ultérieurement dans le chapitre 23 « No Concrete Jungle » : « Le chauffeur de taxi refusa, puis s’inclina quand je lui racontais tout et lui donnait quelques billets. Je lui fis jurer le secret, moins de personnes seront au courant, mieux se sera pour ma sécurité. Il me fallait quitter Paris le temps de les semer, je lui demandais de me conduire avec mes provisions et ma tente au beau milieu du Vexin, dans les bois  et de revenir me chercher dans 10 jours au même endroit. La forêt était belle, impénétrable j’eu l’impression de me réveiller hors du temps après l’étouffante traversée de Paris puis Cergy. Il insista pour m’accompagner et porter mes affaires, gratis, pour pouvoir raconter à sa femme et ses gosses qu’il m’a aidé quand je ferrais les gros titres. »
On trouve plusieurs exemples de ce procédé puisque chaque chapitre détourne le titre d’une chanson (à l’image du titre du livre). Le chapitre 6 fait référence à « Want More » (Vouloir plus) sur l’album Rastaman Vibration (1976) et le chap. 23 à « Concrete Jungle » (Jungle de béton) sur le disque Catch A Fire (1971) et c’est ainsi dans tout le bouquin jusqu’au chapitre final. Le 36 qui s’affranchit de cette règle et s’intitule « Nesta Robert Marley ». 
Seule autre entorse, l’utilisation de la chanson « Trenchtown Rock » issue d’un album posthume Confrontation (1983) au chapitre 32 « Trenchtown’s Rock ».  Un enregistrement qui est postérieur au temps du récit qui se passe en 1981. Une piste de lecture, de relecture, un autre message codé ? En conclusion le narrateur, bien qu'étant parti en Jamaïque plusieurs chapitres auparavant,  n’a rien trouvé à Kingston alors même qu’une partie des réponses à ses questions se trouvaient sous « le rocher de Trenchtown » (traduction littérale du jeu de mots Trenchtown’s Rock en place du rock’n’roll de Trenchtown initial), la ville natale du chanteur. À la relecture, la réponse se trouve effectivement au chap. 23 –miroir du 32– mais je n’en dis pas plus au cas où vous pourriez le lire.

L’auteur captive et déroute son lecteur, l’inquiétante sobriété de la biographie à la fin du volume –seulement la phrase « Mathieu Mantra travaille et habite à Mexico depuis quelques années. »- ouvre un éventail de suppositions. Absence en ligne, point de page Facebook, de blog ou de fiche Wikipédia, le site de l’éditeur qui apparaît « en construction », autant de vides en écho à l’hystérie du texte. À tel point qu’il me paraissait sûr qu’un ou plusieurs auteurs se cachaient derrière toute cette métalittérature. Aucune piste, aucun lien. En vain, personne n’en saura le fin mot. Avant cette investigation, après quelques chapitres lus sur le siège avant de ma voiture incapable de décoller, je revins curieux vers la dame du vide-grenier qui vendait « les bouquins du grand, parti de la maison. Mais j’ai des vêtements aussi si vous voulez jeter un œil. » n’avait pas d’autres livres du même éditeur, seulement quelques poches : Traven, Pessoa, Ajar, Sullivan, Pynchon, Volodine, un air de famille, j’embarquais le tout. N’ayant pas encore pris la mesure de l’imposture à ce moment-là, je n’eus pas l’occasion de lui demander son nom ou si son fils habitait au Mexique.
En guise de conclusion à cette quête inachevée, j’emprunte ces phrases au chapitre 27 «  Stop That ! » (en référence à « Stop That Train »  sur l’album Catch A Fire, 1971) : « Chaque muscle de mon visage le déforme en essayant de ressembler à ce souvenir qui sourit dans la glace, je me coupe presque sans faire exprès. Le rasoir imprimant dans la chair une marque à l’intention de celui que je serais demain. Toute sa vie ne se rappeler que l’oubli. Miami brillait, dehors, imprimant un voile blanc à son reflet. Mon reflet. Dépossédant mon double encore un peu plus de mon identité, j’enfilais un pantalon en lin et une chemise fleurie, la survie était à ce prix. »



I Shot Bob Marley, but I didn't shot intentionally. Oh no oh ! de Mathieu Mantra aux éditions La Dernière Marche (avant !), 2011



I Shot Bob Marley, but I didn't shot intentionally. Oh no oh ! de Mathieu Mantra  aux éditions La Dernière Marche (avant !), 2011



Pour aller plus loin :

Biographie sur le site officiel de Bob Marley : http://www.bobmarley.com/history/

Vidéo archive de l’Ina sur la passion de Bob Marley pour le Football : Rastas et ballon rond : la revanche des pauvres  diffusé le 15 juin 1980 sur Antenne 2 : http://www.dailymotion.com/video/x1ccixg_rasta-et-ballon-rond

Mention de cette terrible partie de football dans les médias : http://www.mondomix.com/news/bob-marley-mort-d-un-footballeur

Qui est le docteur Josef Issels ? : https://en.wikipedia.org/wiki/Josef_Issels
Ma lutte contre le cancer : Mémoires d'un médecin le livre du Dr Issels : http://www.amazon.de/Kampf-gegen-Krebs-Erinnerungen-Arztes/dp/3570047369
Qui est Salvatore Inzerillo ? : https://it.wikipedia.org/wiki/Salvatore_Inzerillo

jeudi 1 octobre 2015

Le bruit des livres et les Golden Blog Awards 2015

Depuis 2010 les Golden-Blog Awards permettent de récompenser le travail fourni par les blogueurs en leur offrant davantage de visibilité et en leur permettant d'enrichir le travail en échangeant avec d'autres blogueurs.
23 catégories (BD, mode, économie-marketing, beauté, sciences, musique, sport, Paris, arts et culture...) y sont représentés, 3 prix spéciaux (meilleur blog, meilleur espoir et -depuis cette année- Happy Blog) y sont décernés et 8 000 blogs en moyenne participent à cet événement.
Depuis la création du Bruit des livres, je me suis efforcée de partager mes nombreux coups de coeur et de défendre les éditeurs et les auteurs que j'aime.

Participer à ce concours c'est à la fois me donner de la visibilité mais aussi valider le travail fourni jusque à présent.Voter pour ce blog, c'est voter pour le sérieux et l'honnêteté de son contenu, son design, son potentiel et aussi pour ses lecteurs.
Ainsi, comme lors des deux dernières années, je tente ma chance en inscrivant ce blog à ce concours dans la catégorie Art et Culture. Et si vous souhaitez défendre ses chances de terminer dans les 10 premiers de cette catégorie afin de figurer au second tour vous pouvez voter :
  • En cliquant ici, sur le logo ci-joint et sur celui qui se trouve dans la marge de droite,
  • En accédant à la page GBA réservé au Bruit des livres : https://www.golden-blog-awards.fr/blogs/le-bruit-des-livres-0.html

et si le coeur vous en dit,vous pouvez commenter et partager cette candidature.

Quoiqu'il en soit sachez que je vous suis reconnaissante de lire ces pages. Et merci à ceux d'entre vous qui voteront quotidiennement jusqu’à la date limite ;-)

Merci !
lili M

NB : le règlement autorise à voter une fois par jour et par personne pour le blog de son choix dans une même catégorie.

https://www.golden-blog-awards.fr/blogs/le-bruit-des-livres-0.html