Eric Faye, Nagasaki, éds Stock et J'ai Lu
Mon coup de coeur :
Shimura-San est un quinquagénaire japonais météorologue de profession qui vit une existence solitaire et réglée comme du papier musique. Cet homme très ordonné tient une maison propre où tout est à sa place mais depuis plusieurs jours, une impression étrange le tenaille : celle de voir des objets disparaître ou être déplacés. En effet de minuscules détails lui laisse penser qu'un intrus pénètre chez lui pour lui dérober un yaourt, du poisson, de la boisson ou pour jouir du confort qu'offre sa demeure.
Un jour exaspéré par ce sentiment d'insécurité, il décide de placer des caméras à des endroits stratégiques de sa maison et de les visionner en catimini sur son lieu de travail. C'est dans ces circonstances qu'il découvre stupéfait qu'une dame à peine plus âgée que lui vit dans cette maison à son insu et ce depuis longtemps. D'une extrême discrétion, elle avait longtemps réussi à vivre dans le pavillon de son "hôte" sans laisser le moindre indice. Sans doute s'est-elle sentie plus à l'aise le temps passant.
Depuis qu'il se sait victime d'une violation de domicile, notre homme n'arrive plus à se sentir chez lui dans sa propre maison et se sent dépossédé de tout : " J’étais ébranlé. L’intérieur de mon frigo était en quelque sorte la matrice sans cesse recommencée de mon avenir : là m’attendaient les molécules qui me donneraient de l’énergie dans les jours suivants, sous la forme d’aubergines ou de jus de mangue, et que sais-je encore. Mes microbes, mes toxines et mes protéines de demain patientaient dans cette antichambre froide et l’idée qu’une main étrangère attentait à celui que je deviendrais, par des prélèvements aléatoires me troublait au plus profond. Pire : cela me révulsait. C’était ni plus ni moins une sorte de viol." Pourtant un sentiment de culpabilité ou du moins de responsabilité perturbe notre personnage qui finit par chercher à comprendre les motivations de sa clandestine. Il se voit alors contraint de sortir de sa coquille, de s'interroger sur sa propre vie et de prendre conscience de la vacuité de sa vie d'avant. Quoiqu'il en soit, notre employé modèle n'en veut pourtant pas à son hôte clandestine, elle aussi victime sans domicile ni repère dans cette ville dévastée où elle a longtemps cru avoir sa place.
De son côté, pour le remercier de "sa retenue" lors de son procès, cette dernière décide de lui narrer son parcours dans une longue et belle lettre. Ainsi découvre-t-on au fil des pages la vie d'une femme devenue chômeuse qui s'est retrouvée à la rue et pour qui s'approprier le confort de son hôte et l'espionner devenaient un moyen de redécouvrir avec bonheur ce que peut être un chez soi et de retrouver un peu de confiance et de dignité.
En une centaine de pages, Eric Faye instaure un climat de mystère et de questionnements métaphysiques en confrontant deux voix et deux solitudes : celle de Shimura-San et celle de son bourreau, cette femme esseulée qui a perdu successivement son travail et sa maison mais qui a trouvé chez notre météorologue un lieu pour se ressourcer.
En une centaine de pages, Eric Faye instaure un climat de mystère et de questionnements métaphysiques en confrontant deux voix et deux solitudes : celle de Shimura-San et celle de son bourreau, cette femme esseulée qui a perdu successivement son travail et sa maison mais qui a trouvé chez notre météorologue un lieu pour se ressourcer.
Inspiré d’un fait divers, Nagasaki est un récit singulier sur l'identité, la mémoire et l'altérité. C'est aussi un livre qui parle de notre relation aux objets et aux souvenirs. Nous avons la certitude de connaître les lieux que nous habitons et de les retrouver tels quels après notre journée de travail, or que se passerait-il si comme Shimura-San nous constaterions qu'un squatteur profite de ce lieu sanctuaire à nos dépens ? Comme dans le roman cet individu viendrait perturber notre rapport aux choses et ébranler nos certitudes. Finalement ce sont les choses qui nous possèdent plus que nous les possédons.
Eric Faye évoque avec finesse les rapports humains dans une société de consommation qui développe l'individualisme et en fait une valeur refuge quitte à laisser sur le bord de la route des êtres qui n'ont pas eu la chance de pouvoir profiter du système : "Que signifie encore ce nous qui revient à tire-larigot dans les conversations ? Le nous meurt. Au lieu de se regrouper autour d’un feu, les je s’isolent, s’épient. Chacun croit s’en sortir mieux que le voisin et cela, aussi, c’est probablement la fin de l’homme."
Je vous recommande vivement ce récit insolite et émouvant.
L'auteur :
Né en 1963 à Limoges, Eric Faye est journaliste pour l’agence Reuters. Il est également l'auteur de nombreux essais, nouvelles et romans dont Je suis le gardien du phare (Prix des Deux magots, 1998), Croisière en mer des pluies (Prix Unesco, 1999) ou l'Homme sans empreintes (Stock, 2008). Il a reçu pour Nagasaki le Grand prix du roman de l'académie française en 2010.
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