mercredi 17 septembre 2014

La ballade d'Ali Baba


Catherine Mavrikakis, La Ballade d'Ali Baba, éds Sabine Wespieser

Ma chronique :
Né grec, Vassili Papadopoulos quitte sa terre natale pour l'Algérie en 1937 avec sa mère -famille fragile abandonnée par son mari retenu à la guerre- et ses frères et soeurs. Aîné de la famille, le jeune Vassili se doit de faire vivre les siens. Heureusement le garçon est doté de jugeote et de bagou. Dès lors rien et personne ne lui résiste, même lorsqu'une fois adulte il part aux États-Unis puis à Montréal. Alors lorsqu'en 2013 Erina -sa fille aînée et préférée- fait sa rencontre dans des circonstances exceptionnelles neuf mois après sa mort, les souvenirs de cette dernière rejaillissent sans aucune logique temporelle pour non seulement faire revivre cet homme incroyable mais aussi pour combler des années d'absence entre deux êtres qui s'aiment profondément bien que tout les sépare. A l'image du père de Hamlet qui revient sur terre pour hanter son fils, Vassili demande à sa fille une ultime requête : voler ses cendres le 21 juin exactement. Mais qu'en faire après ?
Au fil des pages de ce récit totalement déconstruit, le narrateur peint le portrait d'un homme exubérant, audacieux, égoïste, aimé bien qu'incompris. La ballade de cet Ali Baba se confond alors avec celle de sa fille dont les souvenirs et les errances se déploient pour ressusciter et prolonger la puissance, la singularité et l'authenticité des rares moments (heureux ou non) passés auprès de cet homme (un quasi inconnu).

De Key West (Floride) -terminus de leur dernier et incroyable voyage ensemble- à Montréal en passant par la Grèce, Rhodes ou Alger, c'est toute la vie insensée, décousue, splendide et précaire de ce père qui défile sous nos yeux. Le temps qui passe, les circonstances qui changent, les époques qui se mêlent et s'entremêlent, peu importe rien n'empêche Erina -devenue une femme et un professeur émérite- d'aimer et d'essayer de comprendre cet homme assoiffé de vie et d'aventures qui s'est tant de fois absenté de sa vie. Ce qui ressort alors de cette lecture c'est leur incommensurable désir de se retrouver.

L'écriture de ce récit -toute en discontinuité- est ainsi à l'image de ce personnage charismatique et fantasque qui a passé sa vie à se défiler. Et c'est en se jouant des conventions narratives et des logiques temporelles qu'en une centaine de pages Catherine Mavrikakis rend hommage à ce père, ressuscite l'amour filial qu'Erina avait tu durant des années et redonne du sens et de la valeur à chacun des moments passés ensemble.

Même si j'ai eu parfois le sentiment de rester à l'extérieur du roman (décontenancée par le postulat qu'un récit d'outre-tombe est possible), j'ai aimé ce livre non seulement pour son sujet mais aussi pour ses grandes qualités littéraires, à savoir un souffle dramatique incroyable et une composition narrative grandement maîtrisée. J'ai été tout particulièrement enchantée par les passages consacrés à la figure paternelle dont l'auteur a su rendre la complexité. Si vous ne connaissez pas Catherine Mavrikakis, je ne peux que vous inciter à la découvrir !  




L'auteur :
Catherine Mavrikakis est née à Chicago, en 1961, d'une mère française et d’un père grec qui a grandi en Algérie. Son enfance se déroule entre le Québec, les États-Unis et la France. Elle choisit Montréal pour suivre des études de lettres et devenir professeur de littérature à l’université de Concordia pendant dix ans, puis à l’université de Montréal où elle enseigne toujours.
Au fil des années, Catherine Mavrikakis a su construire une œuvre littéraire de qualité. En France, trois de ses romans ont été édités par Sabine Wespieser éditeur.  Le Ciel de Bay City ( Héliotrope, 2008 et Sabine Wespieser, 2009 ) et  Les Derniers Jours de Smokey Nelson ( Héliotrope, 2011 et Sabine Wespieser éditeur, 2012 ) ont été salués tant par la critique que par le public. La Ballade d’Ali Baba (Héliotrope et Sabine Wespieser éditeur) est paru simultanément en France et au Canada en août 2014.

Et plus si affinités :
Si vous aimez les romans familiaux, je vous conseille vivement Un petit homme de dos de Richard Morgiève (éds Joëlle Losfeld) dont je vous ai déjà parlé mais aussi :
Le meilleur des jours (éds Sabine Wespieser) de Yassaman Montazami dans lequel la jeune femme se souvient de son père disparu peu de temps avant l'écriture de ce roman et dont l'absence ne cesse de la hanter. Au fil des pages, l'auteur redonne vie à cet homme cultivé et espiègle qui a fui l'Iran avant la chute de la Monarchie mais qui est resté un révolutionnaire dans l'âme (et un grand enfant) en acceptant de faire de son appartement parisien un lieu de conciliabules autour de la destiné de son peuple et de la conditions des réfugiés iraniens exilés en France.
A travers le destin de ce personnage au prénom incroyablement poétique -Behrouz "le meilleur des jours" en persan, l'auteur dresse le portrait d'un père aimant et aimé et celle d'un peuple pris dans les affres de l'Histoire.
Tout comme La Ballade d'Ali Baba, Le meilleur de jours est une déclaration d'amour tout autant que le plus beau des adieux. A découvrir !


Les Ménites de Vélasquez
Challenge : la famille dans tous ses états !!!




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