vendredi 22 janvier 2016

2084 La fin du monde

le bruit des livres

Boualem Sansal, 2084, la fin du monde, éds Gallimard

Ma chronique :
2084 est -après Le serment des barbares, L'enfant fou de l'arbre creux et Rue Darwin- le quatrième roman de Boualem Sansal que je lis et c'est le seul que je trouve décevant. Il y a peut-être eu trop d'attente de ma part après avoir vu les critiques dithyrambiques qui ont accompagnées sa parution à moins que ce soit du fait que j'ai été émerveillée et bouleversée par ces lectures précédentes, Non pas que Sansal ne fasse pas preuve ici aussi de sa qualité de grand conteur mais c'est la narration elle-même qui ne m'a pas convaincue malgré quelques passages forts et pertinents.
2084 est le récit d'un monde nouveau né sur les décombres du nôtre qui a disparu géographiquement, linguistiquement, matériellement. Celui qui l'a donc remplacé "de manière totale, définitive, irrévocable" se nomme l'Abistan. Ce pays tient son nom d'Abi, "délégué" suprême de "Yölah le Tout Puissant". Qui dit nouveau monde dit nouveaux préceptes, nouvelles règles de vie, nouvelle langue, nouveaux codes vestimentaires... Tout y est codifié et figé et personne n'échappe aux regards des autres.
Ancien tuberculeux parti se faire soigné au loin dans les montagnes, Ati tente depuis son retour en ville de comprendre le monde qui l'entoure. Avec lui, nous découvrons avec frayeur les lois immuables qui régissent ce pays: les prières obligatoires, les tenues vestimentaires imposées, la multiplicité des mécanisme de surveillance, l'instrumentalisation de la peur -avec les disparitions, les procès abusifs, les lapidations et autres condamnations à mort- mais aussi pour une petite caste de privilégiés : les compromissions. L'appareil officiel est omniprésent bien qu'invisible (ce qui en fait sa force) et le peuple -aveugle et amnésique- n'a pas d'autre possibilité que de lui être fidèle et de le servir. Abi a fait table rase de l'Histoire pour non seulement créer les fables propres à soumettre son peuple mais aussi pour "transformer d'inutiles et misérables croyants en glorieux et profitables martyrs".
Si officiellement le peuple vit dans le bonheur qu'apporte la foi, quelques personnages révèlent les failles de cette théocratie. Ati est l'exemple du personnage pétri de doutes quant au bien fondé de sa foi et surtout sur ce qui fait l'ADN de l'Abistan. Ses interrogations sont d'autant plus importantes après avoir rencontré Nas (sage ethnologue qui vient de découvrir un village ancien parfaitement intact qui contredit l'histoire et les préceptes abistanais) et Koa (fonctionnaire issu d'une grande lignée de croyants). A eux trois il mettent à mal cette société qui ne tolère aucune suspicion et qui ne vit que "grâce" la soumission unanime à ce dieu cruel et unique et à l'amnésie totale de son peuple. Douter c'est déjà sortir du lot et résister c'est d'ailleurs ce que confirme tragiquement le périple entreprit par Ati et Koa. Se déplacer c'est déjà remettre en cause le système, échapper à la surveillance généralisée et faire preuve de curiosité, chose inimaginable pour un état qui n'existe que grâce à l'ignorance et à l'acceptation total de son peuple.

Tout cela nous donne des passages intéressants sur les mécanismes propres aux sociétés théocratiques mais la narration est laborieuse et l'ensemble confus et parfois superficiel. De la ligne narrative générale aux réflexions labyrinthiques d'Ati en passant par les descriptions de l'Abistan -territoire sans frontière officielle, de l'Abigouv -obscure tête agissante- et de l'ensemble du système "abistanais" le roman alterne de grandes descriptions et de bonnes réflexions mais aussi beaucoup de bavardages et de redites. Dommage ce 2084 n'a pas de ligne narrative forte. Ce n'est pas pour moi le roman de Sansal le plus remarquable et qui mérite le plus d'éloges (contrairement au Serment des barbares) et la comparaison avec 1984 ne vaut que parce qu'il s'agit de deux dystopies qui nous invitent à être attentifs aux débordements idéologiques d'une société nouvelle qui use de son propre langage tout en faisant table rase de l'Histoire. Je le regrette d'autant plus que Boualem Sansal est un auteur qui jusqu'à présent m'avait pleinement convaincue pas ses qualités de conteur, par sa plume (habituellement) bien plus subtile et son regard acéré.




L'auteur :
Né le 15 octobre 1949 Boualem Sansal, est un écrivain algérien d'expression française, Principalement reconnu en tant que romancier, Sansal est aussi essayiste. Il a un diplôme d'ingénieur et un doctorat en économie. Il a été haut fonctionnaire au ministère de l'Industrie algérien jusqu'en 2003. mais ses propos critiques lui valent d'être limogé puis censuré dans son pays d'origine où il réside toujours. Déjà très reconnu en France et en Allemagne -pays dans lesquels il a reçu de nombreux prix- son roman 2084 le propulse devant la scène et le fait connaître du grand public notamment grâce au Grand Prix du roman de l'Académie française 2015.
Voici sa bibliographie partielle:
En 1999  paraît aux éds Gallimard Le Serment des barbares qui se voit attribuer le prix du premier roman 1999 et le Prix Tropiques 1999.
Suivent alors en 2000 L'Enfant fou de l'arbre creux (éds Gallimard) pour lequel Sansal reçoit le Prix Michel-Dard, Harraga (éd. Gallimard, 2005), l'essai  Poste restante : Alger : lettre de colère et d'espoir à mes compatriotes ( éd. Gallimard 2006), Le Village de l'Allemand ou Le Journal des frères Schiller (éd. Gallimard, 2008) qui remporte de nombreux prix dont le Ggrand Prix RTL-Lire 2008, celui de la francophonie 2008, et le Prix Louis-Guilloux. En 2011 sort Rue Darwin toujours aux éds Gallimard (Prix du Roman-News 2012).
Enfin lors de la rentrée littéraire 2015  parait 2084 : la fin du monde (eds Gallimard)  Grand prix du roman de l'Académie française 2015


Plus si affinités :
Lire ou relire 1984 de Georges Orwell !

Et toujours plus :
Lire Le serment des barbares, L'enfant fou de l'arbre creux voire Rue Darwin qui sont littérairement et intellectuellement plus aboutis, plus beaux et plus poignants. Je vais tenter en quelques mots de vous donner envie de les lire et de vous expliquer les raisons pour lesquelles 2084 m'a déçue.
Paru en 1999 Le serment des barbares est le premier roman de Boualem Sansal. Le récit se passe dans la banlieue algéroise où Larbi -vieux policier proche de la retraite- enquête sur le meurtre d'un pauvre ouvrier agricole prénommé Abdallah. Ce policier curieux, lucide, intègre et d'un grand professionnalisme découvre que ce crime est lié tour à tour à un autre assassinat, à des affaires de corruption et au FLN. A travers l'enquête policière et grâce à une très belle prose, le narrateur se souvient et relate -sans concession- 40 ans de l'histoire algérienne. Rarement un roman ne m'aura autant impressionné stylistiquement et laissé un si bon souvenir de lecture.
L'enfant fou de l'arbre creux se déroule dans la prison où sont enfermé Farid et Pierre accusés d'avoir participé à des crimes terroristes. Chacun dans leur cellule, ils vont se raconter et alors nous plonger dans un univers où les rêves finissent par nuire, A travers ce récit, le narrateur poursuit sa peinture d'une Algérie victime de la violence terroriste et de la corruptions de certains de ses fonctionnaires. Encore une fois, le roman est sans compromis et toujours porté par une écriture magnifique.
Dans Rue Darwin Boualem Sansal poursuit sa fine et implacable observation de la société algérienne. La trame narrative est plus singulière car il raconte "son" enfance partagée entre sa mère -qui a vécu dans un quartier pauvre d'Alger (rue Darwin)- et sa grand-mère paternelle Djeda héritière d’une tribu très honorable et influente mère maquerelle. On retrouve ici aussi ce qui fait la "marque" de Sansal: un personnage en quête d'identité, une Algérie qui elle a perdu la sienne et un style toujours aussi subjuguant.


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