Làszlo Krasznahorkai , Thésée universel, éds Vagabonde
Mon coup de coeur :
Un homme, un auditoire, un lieu indéfini, trois conférences sur trois thématiques différentes.
De cet orateur nous ignorons beaucoup de choses: son identité, sa profession, son âge. Cependant, le fait que toutes ses prises de parole suivent un schéma narratif identique dévoile des aspects immuables de sa personnalité : son caractère méthodique, sa persévérance, sa perspicacité et son intelligence. Chacun de ses monologues commence par une convocation, suivie alors par un relatif étonnement (un certaine résistance) de la part de l'orateur qui poursuit pourtant en développant un discours minutieux qui s'appuie sur du vécu. Et même si chaque conférence est initiée par "l'institution" -un auditoire dont on ignore précisément qui la compose, chacune d'elle permet à son auteur de développer une réflexion métaphysique libre et assumée à travers trois problématiques universelles : la tristesse, la révolte et la possession (le premier discours faisant directement référence à un épisode de Mélancolie de la résistance). Non seulement ces discours font écho à une situation tangible mais ils évoquent ce qui se passe ailleurs, à l'extérieur de ce lieu dont on ignore quasiment tout.
Tel Thésée, notre conférencier se sacrifie pour sortir l'humanité de son labyrinthe (la peur, la bêtise, la vulgarité, l'individualisme, le matérialisme, la soumission, l'aveuglement...) porté à la fois par "la douceur mortelle de la tristesse et l'envie irrésistible de [se] révolter" même si cela semble finalement vain. Car s'il est libre de ses propos, notre personnage ne l'est pas de ses agissements. Rapidement nous comprenons qu'il est contraint d'intervenir et qu'après chacune de ses prises de parole sa liberté se réduit comme peau de chagrin. La corrélation entre sa liberté de ton et de propos et la contrainte physique qui menace cet homme se fait de plus en plus pesante au fil des pages. L'ensemble constitue ainsi une réflexion sur la condition humaine mais encore sur la littérature et le statut des romanciers, notamment dans un pays où la parole a longtemps été "surveillée" comme l'est celle de notre protagoniste.
Tel Thésée, notre conférencier se sacrifie pour sortir l'humanité de son labyrinthe (la peur, la bêtise, la vulgarité, l'individualisme, le matérialisme, la soumission, l'aveuglement...) porté à la fois par "la douceur mortelle de la tristesse et l'envie irrésistible de [se] révolter" même si cela semble finalement vain. Car s'il est libre de ses propos, notre personnage ne l'est pas de ses agissements. Rapidement nous comprenons qu'il est contraint d'intervenir et qu'après chacune de ses prises de parole sa liberté se réduit comme peau de chagrin. La corrélation entre sa liberté de ton et de propos et la contrainte physique qui menace cet homme se fait de plus en plus pesante au fil des pages. L'ensemble constitue ainsi une réflexion sur la condition humaine mais encore sur la littérature et le statut des romanciers, notamment dans un pays où la parole a longtemps été "surveillée" comme l'est celle de notre protagoniste.
Thésée universel n'est pas le roman le plus célèbre ni le plus "littéraire" de Krasznahorkai. Il s'agit d'un court récit mi-philosophique mi-romanesque dans laquelle son lectorat retrouve son univers de révolte sourde et de désenchantement (voire de nihilisme). S'il peut se lire indépendamment de ses autres grands romans métaphysiques (Mélancolie de la résistance et Tango de Satan), Thésée universel se révèle être un parfait contrepoint à ces derniers, une lecture complémentaire qui prolonge et enrichit leurs propos. Certes je n'ai pas retrouvé le langage labyrinthique et riche qui caractérise son écriture ni le côté hypnotique et dense de sa narration, mais ce petit roman possède ce qui fait l'essence de l'oeuvre de Krasznahorkai : un juste mélange entre désenchantement et révolte et une capacité à impliquer directement le lecteur, à le questionner et à le déstabiliser. "[...] vous avez été en réalité déçus par vous-m^mes en ne découvrant pas la clé de l'univers, mais cependant il vous reste l'univers; moi, en revanche, j'ai été déçu par l'intelligence humaine en découvrant sa clé dans la prostitution ordinaire et, n'ayant rien trouvé d'autre, il ne m'est rien resté."
Je remercie Yspaddaden du blog Tête de lecture de m'avoir poussée à lire ce texte qui traînait dans ma bibliothèque depuis sa parution en 2011 !!! Cette lecture m'a donné envie de me plonger dans Tango de Satan que j'ai commencé ce week-end.
L'auteur :
Làszlo Krasznahorkai est né en 1954 en Hongrie. Il partage son temps entre la Hongrie, Berlin et le Japon (qui lui a inspiré le roman Au Nord par une montagne, au sud par un lac, à l'ouest par des chemins, à l'est par un cours d'eau aux éditions Cambourakis).
En 2016, sept de ses romans sont été traduits en français grâce aux éds Gallimard, Vagabonde et Cambourakis :
Tango de Satan (Sátántangó), éds Gallimard (2000)
La mélancolie de la résistance (Az ellenállás melankóliája), éds Gallimard (2006)
Au nord par une montagne, au sud par un lac, à l'ouest par les chemins, à l'est par un cours d'eau (Északról hegy, Délről tó, Nyugatról utak, Keletről folyó), éds Cambourakis (2010)
Thésée universel (A Théseus-általános), éds Vagabonde (2011)
La Venue d’Isaïe (Megjött Ézsaiás), éds Cambourakis (2013)
Guerre et guerre (Háború és háború), éds Cambourakis (2013)
Sous le coup de la grâce, éds Vagabonde (2015)
Et plus si affinités:
Lire l'hypnotique Mélancolie de la résistance, le billet d'Yspaddaden sous le charme de Sous le coup de grâce (éds Vagabonde, 2015) et celui d'Ingannmic du blog BOOK'ING sur Guerre et guerre (éds Cambouralis, 2013 et Actes Sud babel, 2015)
Et toujours plus :
(Re)voir le somptueux extrait de "la visite faite à la baleine" tiré du film Les Harmonie Werckmeister réalisé par Bélà Tarr.
photo extraite des Harmonies Werckmeister de Bélà Tarr (2000)
vidéo mise sur Youtube par Glassempire
Et bien je suis ravie de voir qu'une lectrice supplémentaire a pris plaisir à découvrir cet auteur injustement méconnu. Guerre et guerre a été un immense coup de cœur, je note donc ce titre..
RépondreSupprimerEn fait c'est le deuxième roman de Krasznahorkai que je lis. j'ai découvert cet auteur après avoir vu le magnifique "Les Harmonies Werckmeister" de Béla Tarr (http://lebruitdeslivres.blogspot.fr/2013/05/la-melancolie-de-la-resistance.html).
RépondreSupprimerJe viens de découvrir ton coup de coeur sur "Guerre et guerre" (http://bookin-ingannmic.blogspot.fr/). Cela me donne très envie !!!