mercredi 21 août 2013

kinderzimmer

pour le bruit des livres
Valentine Goby, Kinderzimmer, éds Actes
Sud

Ma chronique:
Jeune femme, orpheline, naïve et passionnée de musique (elle codait secrètement des messages pour la Résistance en remplaçant les lettres de l'alphabet par des notes de musique), Suzanne Langlois -également appelée Mila- est une résistante engagée mais peu politisée qui ne comprend pas ce qui lui arrive lorsqu'elle se retrouve entassée dans un wagon pour un lieu inconnu -Ravensbrück- avec "quatre cents (femmes dont sa cousine et complice Lisette) moins les mortes" en ce jour d'avril 1944. Commence pour elle non seulement une vie faite de privations, d'humiliations et de brimades mais aussi une lutte incessante pour dissimuler sa grossesse dans ce camps où règnent la puanteur, la maladie, la cupidité et la déshumanisation mais aussi la solidarité, la débrouillardise et l'espoir. Chaque jour de vie est une bataille de gagnée. Même si pour cela il faut duper l'ennemi ou avoir quelques complicités. Les petits faits d'insoumission et de bravoure quotidiens deviennent des vrais signes d'espoir qui permettent de croire en l'avenir et qui redonnent des forces : un sourire dissimulé aux gardiennes, une marseillaise chantée dans sa tête, se tenir debout malgré la fatigue ou la maladie, des aiguilles planquées dans l'entrejambe des uniformes destinés aux soldats allemands... Tout comme cet héroïsme, l'espoir et la vie ne tiennent finalement qu'à un fil et pour Mila cela tient à "un chien (qui) n'a pas mordu", qui ne l'a pas blessée lorsqu'elle s'est approchée dangereusement d'un campement. Et l'ingéniosité dont font preuve les détenues est rendue avec beaucoup de justesse tout comme la souffrance physique et morale qu'elles vivent à chaque instant. 
Si au cours du récit, j'ai retrouvé des motifs que je m'attendais à rencontrer (la déshumanisation morale et physique des prisonnières, l'expérience d'une autre temporalité, la désorientation spatiale ou les diverses manifestations de solidarité et les actes de bravoure), l'originalité de l'histoire tient à la singularité du camps de Ravensbrück : la présence d'une pouponnière où sont nés, ont été soignés ou ont  péri les nourrissons nés ou non dans ce lieu synonyme de mort. Les qualités principales de ce récit concentrationnaire c'est alors d'évoquer l'univers des camps à travers l'expérience de la grossesse et de l'enfantement et de faire des corps féminins le sujet central du livre. L'origine de ce roman tient d'ailleurs à une rencontre entre l'auteur et l'ancienne puéricultrice de Ravensbrück Marie-José Chombart de Lauwe.

Cependant malgré les qualités d'écriture et de composition que je reconnais à ce livre (malgré une dernière partie que je trouve plus faible) -comme la retranscription phonétique de l'allemand par des femmes venues de différents pays d'Europe- et le courage qu'il faut pour écrire sur les camps (surtout lorsque l'on n'est directement victime), j'ai été relativement déçue par cette lecture. Elle ne pas pas bouleversée. Je n'y ai retrouvé ni la puissance narrative d'un Primo Levi dans Si c'est un homme (éds LDP), ni la vision métaphysique d'un Georges Semprun dans L'Ecriture ou la vie (éds Folio Gallimard) dont les lectures ne m'ont pas laissée indemne. Certes Kinderzimmer se lit bien -et j'ai aimé le lire- cependant une impression de déjà lu -mis à part les passages consacrés à cette "chambre pour enfant" et à ce qui est propre au corps féminin- n'a pas cessé de m'accompagner durant la lecture. Il m'a manqué un je-ne-sais-quoi, peut-être que j'attendais trop ou autre chose de cette lecture... 



L'auteur :
Valentine Goby est une romancière française née en 1974 et diplomée de Sciences-Po qui a enseigné les Lettres et le théâtre au collège tout en écrivant des romans dont La note sensible (Gallimard 2002), Qui touche à mon corps, je le tue (Gallimard 2008), Banquise (Albin Michel 2011). Elle est lauréate de la Fondation Hachette (2002) et a reçu de nombreux prix dont le Prix René Fallet pour La note sensible. Tout comme dans Kinderzimmer, elle fait du corps le sujet central de nombreux de ses écrits.


Et plus si affinités :
Ce qu'en dit Valentine Goby.

4 commentaires :

  1. En conclusion ça sera donc plus judicieux de me plonger dans "Si c'est un homme" qui dort encore dans ma PAL. De toute façon aucun regret, ce n'est pas une auteure que j'apprécie beaucoup

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    1. Je ne peux que t'encourager à lire "Si c'est un homme" qui est un est roman d'une incroyable force et qui marque de manière indélébile tout ses lecteurs.
      Quant à "Kinderzimmer", il est réellement loin d'être mauvais mais je n'y ai pas retrouvé la puissance à laquelle j'étais en droit t'attendre d'un livre parlant des corps féminins (dont un portant un enfant) brutalisés dans un camp de déportation. Pour le coup je n'ai pas ressenti dans ma chair la douleur et la déshumanisation des personnages comme lorsque j'ai lu Primo Levi ou Georges Semprun et dont les livres sont essentiels et indispensables. Vu sous cet angle, tu peux faire l'impasse sur "Kinderzimmer".
      Merci pour ton commentaire. Et je rappelle l'adresse de ton (très beau) blog pluridisciplinaire : http://lorouge.wordpress.com/author/lorouge/

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  2. J'ai lu Si c'est un homme et j'ai retrouvé ici dans le roman de Valentine Goby cette même façon de vivre l'instant présent dans ce camp. Je devais être dans une période sensible car j'ai vraiment ressenti la douleur et la force de survivre de la narratrice pour ce symbole de vie qu'est un enfant. Il me semble que justement elle a réussi à Ne pas trop en faire pour ne pas tomber dans le mélo trop facile avec ce contexte.

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  3. C'est ce qui m'a manqué lors de ma lecture : je suis restée en dehors. J'attendais vraiment de ce texte qu'il me captive et me chamboule et ça n'a pas été le cas. J'aurais aimé que ce roman me prenne aux tripes !

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