mardi 23 avril 2013

Etoiles de Transylvanie


Aron Tamàsi, Etoiles de Transylvanie, éditions Héros-limites

Mon coup de coeur :
J'ai éprouvé un réel plaisir à ouvrir ce beau recueil et à y piocher des nouvelles au hasard. Il faut dire que l'auteur à un tel sens de la narration qu'il nous fait facilement partager les croyances de son ethnie celle des paysans sicules -peuplade hungarophone de Roumanie. C'est tour à tour féroce et tragique (quand ces nouvelles évoquent les conséquences du Traité de Trianon) ou ironique et absurde (quand elles ont pour sujets les croyances et les habitudes de son peuple) mais c'est toujours émouvant et/ou réjouissant. Ces histoires parlent aussi bien du désespoir d'une ethnie que de ces instants dont il faut profiter immédiatement : des petits bonheurs du quotidien, de la joie d'être aimé ou de la beauté d'une terre chérie.
Rassemblant des nouvelles écrites sur plusieurs années, le livre nous offre une vision de l'histoire agitée de cette région. La principale qualité de ce recueil tient à sa faculté à faire ressusciter cette communauté et à lui redonner une voix.
Dans ce très beau livre (édité par un éditeur genevois inspiré et traduit avec brio par Angès Jàrfàs) se détachent trois types de nouvelles : les historiques, les voltairiennes (qui s'attaquent à la religion avec virulence et ironie) et les folkloriques.
Parmi les nouvelles historiques, je vous en conseille particulièrement deux : Etoiles de Transylvanie qui témoigne des conséquences des troubles secouant cette partie d'Europe Centrale en relatant l'histoire d'amour tragique entre une Sicule et un Roumain mariés contre la volonté de leurs proches. Une sorte de Roméo et Juliette sicule. Et la nouvelle inaugurale -qui commence comme une farce et qui se termine comme une tragédie- Tamàs Szàsz, Le Mécréant. Cette histoire est exemplaire dans sa manière de décrire avec causticité le désarrois et la déchéance d'un Sicule dont le peuple est la grande victime du démantèlement de l'empire autro-hongrois "Il n'y a que nous qui soyons devenus mendiants, nous, les Sicules, ce peuple de fous à lier ! Nous qui tirons la langue et qui avons la corde noire autour du cou ! Nous vivons une vilaine époque (...) Alors, à moi la boisson ! Qu'elle brûle ma foi reçue à la naissance et l'honneur qui m'a été confié ! Qu'elle fasse flamber en moi l'amertume qui m'étouffe et me tue... Qu'il disparaisse, ce monde éhonté (...)! Hélas, nous sommes des oubliés, même de Dieu, qui vieille sur nous !". L'homme blessé et éméché du début de l'histoire va devenir à la fin un être furieux plein de rancoeur prêt à tuer sa femme pour ne pas la laisser vivre dans un village devenu roumain depuis peu.
J'ai certes aimé ces nouvelles souvent pleines de nostalgie et de rage toutefois mes véritables coups de coeur vont vers les deux autres catégories d'histoires évoquées auparavant .
Dans les "fables" voltairiennes la foi et Dieu sont franchement malmenés. Ainsi dans l'incroyable Une résurrection en bon ordre  on voit un père et son fils indignés qui décident de quitter le Paradis après avoir constaté que les inégalités et l'injustice y règnent comme sur Terre où ils avaient déjà été victimes de ces mêmes injustices. 
Et parmi les histoires folkloriques, extravagantes et pour certaines frivoles se détachent deux nouvelles : Les métamorphoses du diable à Csik  (précédemment publié dans un recueil de nouvelles hongroises Amour aux éditions Corvinaet surtout Pas plus finaud qu'un Sicule. Cette dernière raconte la malice d'un ancien voleur de bétail devenu l'ouvrier agricole d'un riche paysan. Ni sa vieillesse ni ses nouvelles fonctions ne vont l'empêcher de jouer un mauvais tour à un homme qui autrefois avait refusé de lui donner l'aumône.

Grâce à ce recueil, nous découvrons un "pays" avec ses us et coutumes, un paysage mais aussi un peuple en voie de marginalisation avec un sacré tempérament. Après la lecture de ce livre, j'en déduis qu'un Sicule est un homme susceptible voire rancunier, espiègle, combatif qui évolue dans un univers hostile mais c'est aussi un personnage touchant au langage bien fleuri. Un dernier mot justement pour souligner l'admirable langue grâce à laquelle Tamàsi a su rendre le parlé si coloré de ses personnages parfois cru mais jamais vulgaire.

Que de picaresque dans ce recueil ! De là vient tout le charme (et je n'ai même pas parlé de sa magnifique couverture et mise en page ni de l'incroyable travail de la traductrice Agnès Jàrfàs) et sa fraîcheur si rare dans la publication actuelle qu'il serait dommage de passer à côté. J'espère que tout comme moi vous vous laissez guider à travers cet univers fait de folklore, d'espièglerie et de douleurs.

Mais je vous laisse vous faire votre propre avis !


L'auteur :
Nouvelliste, dramaturge et romancier, Aron Tamàsi (1897-1966) est la figure de prou de la littérature transylvaine. Si Abel dans la forêt profonde est le roman les plus étudié en Hongrie, j'avoue lui préférer Etoiles de Transylvanie. Ces deux romans ont en commun d'être inspirés de la vie de leur auteur et de révéler son style inimitable qui mêlent plusieurs registres linguistiques.

Et plus si affinités :

A. Lammel et L. Nagy, La Bible Paysanne, Bayard, 2006
Ce recueil de contes populaires est le fruit d'un long et formidable travail mené par deux ethnologues Annamaria Lammel et Llona Nagy. Parallèlement à la diffusion de la Bible est née en Hongrie et dans les pays qui lui sont limitrophes une autre Bible, une Bible non écrite uniquement composée de croyances et sagesses paysannes et transmises oralement par les paysans magyarophones. Après avoir sillonné les campagnes hongroises et d'Europe centrale, ces deux chercheuses ont composé et publié ce texte, véritable curiosité littéraire et historique, composé de courts récits tout à la fois drôles, merveilleux, paillards ou absurdes, qui reprennent et détournent allègrement les thèmes bibliques.

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