vendredi 5 avril 2013

Les Braises

Sandor Marai, Les Braises, éditions Albin Michel et LGF 

Mon coup de coeur :
Grâce à son écriture classique, élégante et pure, Marai est l'auteur hongrois le plus célébre en France. Ses romans rappellent ceux de S. Zweig ou d'Arthur Schnitzler dans la manière dont ils parlent de la fragilité des personnages et de l'ambiance dans laquelle ils évoluent. Comme ses deux aînés, Marai peint les moeurs bourgeoises de son époque tout en chroniquant la disparition progressive du monde dans lequel lui-même a grandi (à savoir la fin de l'empire austro-hongrois). Les Braises n'échappe pas à la règle.
Composé de deux grandes parties (la première évoque la naissance d'une grande amitié dans un contexte socio-politique bien particulier, la seconde les retrouvailles glaciales) ce roman ausculte la mort d'une amitié.
Quelque part dans une bourgade hongroise, deux amis d'enfance -Henri et Conrad- se retrouvent près 41 ans et 43 jours de silence. Pendant que l'un échafaudait minutieusement sa vengeance, le second refaisait sa vie à l'autre bout du monde. "On se prépare parfois, la vie durant, à quelque chose. On commence par être blessé et on veut se venger. Puis on attend. Le général attendait depuis fort longtemps et ne savait même plus à quel moment l'offense et le désir de vengeance s'étaient transformés en attente." En attendant le moment fatidique, Henri -l'ancien Général- se remémore l'époque durant laquelle lui et Conrad -"le Capitaine"- étaient inséparables. Il passe alors en revue aussi bien leurs premières complicités et leurs jeux d'enfants que leurs premiers pas en société ou leurs premiers émois amoureux. Quoiqu'en tout point opposés (d'origines socio-culturelles différentes ils ont aussi des physiques bien différents), les deux garçons semblaient vivre une amitié indestructible, "un moment privilégié, miraculeux de la vie" et ce depuis qu'ils s'étaient rencontrés à l'âge de 10 ans. Or progressivement nous nous rendons compte de la méprise du Général car Conrad s'est toujours senti floué, lui le passionné de musique, le "hongrois" dont les parents ont dû se sacrifier pour le faire admettre à l'école militaire.
Son arrivée dans la sublime demeure de son hôte et la confrontation qui va s'en suivre dissiperont les vieux malentendus. Le temps d'un dîner ils vont enfin s'expliquer même si chaque tentative de réconciliation va inexorablement se heurter à de nouvelles révélations. Et c'est aussi au cour de cette longue soirée qu'ils finissent par évoquer la femme qu'ils ont tout deux tant aimée. Le constat est sans appel : leur amitié est définitivement morte. C'est désormais la parole d'un homme cocufié (Henri) qui s'exprime. Et dans cet univers où tout se délite, ces deux vieillards expriment leurs rancoeurs sans éclat ni violence.

Avec Les Braises, Marai nous offre un très beau huis-clos sur le temps qui passe, sur la perte des illusions et des idéaux mais aussi sur la fierté masculine et la trahison. La tension dramatique est ici rendue par l'alternance de silences, de confidences et de faux-fuyants. Jusqu'à l'ultime révélation.

Ce que j'aime particulièrement dans les écrits de Sandor Marai c'est qu'il sait prendre le temps d'installer ses personnages dans un environnement qui correspond à leur personnalité et/ou à leur évolution. J'aime aussi leur retenu malgré les troubles qui les assaillent, tout comme je suis sous le charme de la délicate peinture des lieux et des ambiances qui en disent plus sur les protagonistes qu'une longue description ou qu'une analyse faussement "psychologisante".

Ce chef d'oeuvre a été adapté au théâtre en 2003 par Claude Rich.


L'auteur : 
Né à Kassa en 1900 (aujourd'hui en Kosice en Slovaquie) et issu d'une grande famille de la bourgeoisie d'origine allemande, Sandor Marai fut d'abord journaliste à Budapest, en Allemagne puis à Paris. Antinazi et antibolchévique convaincu, il choisit l'exil lors de l'arrivée des soviétiques à Budapest. Il séjourne successivement en Italie, en France puis finalement en Californie où il se donnera la mort en 1989 suite aux décès successifs de sa femme et de son fils.
Interdite jusqu'en 1990 en Hongrie, son oeuvre est désormais redécouverte dans son pays mais partout en Europe. C'est grâce à Ibolya Virag (longtemps éditrice et directrice de collection chez Albin Michel) si nous disposons désormais d'un grand nombre de ses romans toujours publiés par Albin Michel et le Livre de Poche. Des Révoltés aux Etrangers, il y a une quinzaine de livres traduits en français parus chez les éditeurs cités auparavant dont un certain nombre de coups de coeur à venir...



1 commentaire :

  1. Pour plus d'information sur Sándor Márai et son oeuvre vous pouvez consulter le blog que je lui consacre http://sandor-marai.blogspot.fr/

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