Les bains de Kiraly: Ce roman à la première personne raconte le désarroi d'un jeune homme. A l'annonce de sa future paternité, Gabriel abandonne Laura la femme qu'il aime et son bébé pour trouver refuge à Londres. Bien que traducteur de profession, il se montre incapable de dire avec ses propres mots ses craintes de devenir père. Il n'accorde aucune confiance à son propre langage. Sa fuite devient alors l'expression de son mal être le plus profond, d'une douleur qui a pris racine dès son plus jeune âge. A Londres Gabriel se remémore son enfance au sein d'une famille de taiseux: la mort de sa soeur qu'il fallait taire, ses origines juives hongroises longtemps dissimulées, des parents qui s'expriment dans une langue étrange et des grands-parents jamais connus... Ne pouvant se défaire d'un passé trop lourd à porter, le jeune homme ne peut se projeter dans le futur. Seules ses traductions au jour le jour ont une réelle valeur.
Ses réminiscences le conduisent finalement sur les terres de ses ancêtres: Budapest et ses bains deviennent alors une source de réconfort et un moyen d'apprivoiser ses peurs.
Confronté à son histoire familiale Gabriel se livre avec pudeur. Lui le traducteur qui avait "séduit Laura avec les mots des autres" et qui n'a su aimer "que dans une langue qui n'est pas" sienne a finalement réussi à trouver les mots justes.
De lait et de miel: Ici aussi il est question de filiation, des affres de l'Histoire et de leurs conséquences sur le destin de quelques individus.
Dans cet opus la figure centrale du précédent roman devient le confident, celui qui recueille les souvenirs de son père au seuil de la mort. Tout comme Les bains de Kiraly, De lait et de miel est une quête des origines et un témoignage intime. Roumain originaire du Banat -cette région peuplée au 18è siècle d'allemands, de slovènes et d'alsaciens- le vieil homme convoque ses souvenirs les plus marquants. Il se souvient successivement de ses différentes fuites, de sa rencontre avec Stefan son meilleur ami puis avec Szuzsanna/Suzanne sa future femme à qui il promet une vie "de lait et de miel", de son exil à Budapest alors en pleine insurrection, de son départ forcé pour la France et de la disparition brutale de sa fille. Sans complaisance ni apitoiement.
Si le noeud de l'intrigue se déroule en 1944 lorsque la Roumanie a été libérée du joug allemand par les soviétiques, le narrateur balaie plus de 60 ans d'histoire franco-hongroise.
Au cours de cette confession, ce père -toujours rongé par la culpabilité- demande à son fils de retrouver Stefan. Stefan ce "voile sur (sa) conscience, cette absence qui aiguisait (son) regard sur le présent. Où était il ?"
Jean Mattern a fait de ce roman un très subtil récit sur l'amitié, l'amour et le déracinement mais aussi un joli témoignage sur des faits historiques méconnus du grand public.
Simon Weber: Ce troisième volet fait de Simon le fils de Gabriel la figure principale de ce récit.
Simon a 19 ans. Etudiant en médecine couvé par son père, il vit une vie simple et paisible jusqu'au jour où il se découvre atteint d'une tumeur. Après de nombreux examens, de longues périodes d'angoisse, de questionnements et de désespoir Simon part se ressourcer en Israël. Là-bas il retrouve son ami Amir, le jeune homme qui l'avait secouru au Parc Montsouris quelques mois auparavant. Pendant ce bref séjour, Simon et Amir vont vivre une "parenthèse enchantée". Comme son père l'avait fait avant sa naissance, Simon fuit afin de se reconstruire et de donner un sens à sa vie. Loin de s'apitoyer sur lui-même, il nous offre le visage d'un jeune homme à la fois fragile et mature.
S'il évoque toujours l'exil, la culpabilité, la paternité et l'amitié, Jean Mattern enrichit son récit d'un thème jusqu'alors inédit: l'urgence du temps qui passe face à la mort qui menace et la déshumanisation due à la maladie. Durant sa thérapie Simon n'est considéré que comme un corps malade. C'est aussi un roman qui interroge le lecteur: Comment se projeter dans l'avenir quand si jeune son corps lâche? Que signifie construire une vie lorsque l'on a seulement 20 ans ?
Il y a beaucoup de justesse et de délicatesse dans l'évolution de l'état d'esprit de Simon tantôt assailli de doutes tantôt optimiste. L'ambiguïté et la complexité des sentiments des personnages sont remarquablement rendues.
Tout cela permet à Jean Mattern de nous offrir un récit élégant et terriblement sensible.
Avec ces trois romans se dessine progressivement sous nos yeux une "Comédie Humaine" pleine de délicatesse et de questionnements autour de la filiation, de l'amitié, de l'amour paternel et de l'exil. Mais aussi des conséquences que peut avoir l'Histoire sur le destin de certains individus. De cette trilogie se dégagent de la pudeur, de la souffrance mais surtout de la douceur et beaucoup d'amour. L'écriture juste et mesurée, sans fioritures, apporte à cette trilogie beaucoup de charme et d'intelligence.
Comme de récit en récit les personnages s'étoffent j'espère pouvoir bientôt lire un prochain tome de cette Comédie Humaine.
L'auteur:
Jean Mattern est actuellement responsable de la littérature étrangère aux éditions Gallimard. Originaire de Hongrie, il a mis beaucoup de lui dans ces différents récits.
Et plus si affinités :
Budapest est renommée pour ses sources d'eaux chaudes. Déjà utilisées par les Romains, elles ont été développées par les Turcs (1541-1685) et offrent désormais une valeur culturelle et économique à la ville. Les bains Rudas, Ràc, Kiràly d'inspiration ottomane sont construits selon le même modèle: un escalier en marbre mène de l'entrée à une coupole abritant une piscine de forme hexagonale qu'entourent des bassins plus petits et tous à des températures différentes. Outre ces bains, les plus célèbres demeurent les Bains Géllert d'inspiration art déco avec ses longs couloirs labyrinthiques (je m'y perds à chaque fois) et Széchenyi, une suite de bâtiments néo-classique datant du début du 20è siècle qui constituent le plus grand complexe thermal d'Europe. Il est mondialement célèbre pour ses fameux joueurs d'échec qui poursuivent leurs parties quelque soit le temps qu'il fait à l'extérieur.
Je laisse la conclusion à Dominique Fernandez (romancier et essayiste auteur de nombreux livres sur la Russie et l'Italie) pour qui les magyars ont trois faiblesses: la musique, les gâteaux et les thermes dont l'architecture, les ornements et l'atmosphère "qu'on y respire ne font pas seulement de ces bains des établissements utiles et agréables à fréquenter, mais des lieux de culte, des temples, des sanctuaires d'une religion souterraine où l'on s'enfonce tout frémissant au milieu des clapotements et des buées". (extrait du Goût de Budapest, Mercure de France).
Photo de l'intérieur des Bains de Kiràly (mise en ligne par e-voyageur.com). Construit en 1566 par les Turcs, ce lieu a conservé de nombreux éléments architecturaux ottomans comme en témoignent la forme du dôme, du bassin principal et des arcades abritant les bancs, le hammam et les bassins secondaires.
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Arf, tu me fais regretter de ne pas avoir lu les deux précédents volets de ce que tu appelles si justement cette "comédie humaine"!
RépondreSupprimerAh, et accessoirement, j'ai une folle envie de prendre un billet direction Budapest... Merci!^^