Mercè Rodoreda, Miroir brisé, éditions Autrement
Mon coup de coeur :
Barcelone au début du XXè siècle. Teresa est une jeune femme qui vit dans la misère. Grâce à son charme, elle va forcer le destin afin de vivre dans de meilleures conditions. C'est par saynètes que la narratrice nous dévoile sa vie ( et celle de sa famille ). Déroulant pour ce faire les moments les plus marquants de son existence. Ainsi se succèdent les scènes de son mariage avec un homme fortuné, de son veuvage puis de son second mariage, de l'acquisition d'une splendide demeure dans les faubourgs de Barcelone, de la naissance de ses enfants et petits-enfants.
Si elle a tout fait et eu pour être heureuse, Teresa est inapte au bonheur. Elle va insidieusement mais efficacement faire le malheur de ses proches.Et c'est impuissants que nous assistons à la splendeur puis à la déchéance de cette dynastie. Coupée du monde extérieur et minée par la mesquinerie, le manque d'amour et de compassion des membres qui la composent, cette famille va progressivement et inéluctablement dépérir. Les enfants qu'ils soient dissimulés, légitimes ou non sont livrés à eux-même, les domestiques -trop curieux- espionnent et trahissent sans le moindre remords, quant aux adultes ils se trompent, se volent, se mentent. Aux souffrances morales succèdent les violences physiques: inceste, suicide, meurtre. Et Teresa finit par perdre l'usage de ses jambes.
La nature -témoin de ces souffrances- se fait alors l'écho de cette tragédie: ainsi les animaux meurent et la végétation autrefois luxuriante périclite inexorablement. Ce déclin physique, cette déchéance morale tout comme l'absence d'une quelconque dignité sont rendus dans un style gracieux, sans misérabilisme mais de manière implacable. La beauté du style contredit majestueusement la laideur des personnages.
Si j'ai aimé le thème du récit, j'ai surtout apprécié que l'auteur laisse du temps aux personnages pour évoluer et à l'intrigue pour se développer et s'étoffer progressivement au fil des pages. Pour ce faire, Mercè Rodoreda ose jouer avec le rythme de la narration. Ainsi certaines années sont résumées en quelques lignes alors que le déroulement d'un seul jour peut prendre plusieurs pages.
J'ai aussi été sous le charme de l'ambiance désuète qui naît des lieux, de l'omniprésence de la nature qui reflète l'état d'esprit des personnages et de la menace qui rôde et dont on attend l'accomplissement.
J'ai commencé la lecture de ce roman attirée par la beauté de son titre -qui invitait à la lecture-, je l'ai poursuivi parce que le corps du texte est une vraie réussite. Miroir brisé est un roman qui possède la force d'une tragédie grecque et la beauté visuelle d'un film d'Orson Welles. L'écriture délicate et le rythme sensuel du récit entraînent le lecteur au coeur de cette saga familiale au destin funeste.
L'auteur :
Mercè Rodoreda i Gurgui (née à Barcelone en 1908) est la grande dame des lettres catalanes. Son roman La place du diamant (1962) est considéré comme le roman le plus important de la littérature catalane moderne.
Et plus si affinités :
Voici un extrait de La splendeur des Amberson, film réalisé par Orson Welles, produit par la RKO et diffusé en France par les Editions Montparnasse. (source youtube : Jean-Baptiste Quesnay)
A la lecture du Miroir brisé j'ai immédiatement pensé à cette oeuvre cinématographique. J'y ai trouvé un-je-ne-sais-quoi en commun ( dans l'ambiance ou dans la parenté du sujet ) avec ce film dans lequel Welles traque scrupuleusement la chute d'une famille de la grande bourgeoisie américaine vaniteuse et inadaptée au monde qui l'entoure. A vous de juger !
Chère Lili M,
RépondreSupprimerque voici un beau blog bien écrit avec des liens cinema/peinture agréables et personnels qui nous aide à s'orienter dans la multitude des titres publiés. Longue vie à ce nouveau site donc et merci de partager ces belles lectures avec nous!
Merci Stefan pour ce message si encourageant !
RépondreSupprimerJ'éprouve un grand plaisir à associer les livres à des films ou à des tableaux.
Tant mieux si j'ai pu te donner envie de lire ce récit -passé injustement inaperçu lors de sa sortie- et de (re)voir ce film d'O. Welles -avec le toujours formidable Joseph Cotten.
A bientôt, je l'espère !