Bruno Deniel-Laurent, L'idiot du palais, éds La Table Ronde
Mon coup de coeur :
Alors qu'il est désoeuvré et sans argent, Dušan -français d'origine serbe- se voit attribuer une place au sein d'un Palais -une prison dorée parisienne- en tant qu'agent de sécurité. D'abord au service de la Princesse, il pénètre dans ce bomqueur dans lequel tout le monde tient un rôle bien défini et où il est tenu au plus grand silence. Après des mois de surveillance paisible, notre agent se trouve brutalement affecté au service du Prince, qui arrive des États-Unis pour un séjour dont tout le monde ignore la durée. Dušan se voit alors confier par le grand boss "le Docteur" Elias la mission de pourvoir à tous les désirs sexuels du prince c'est à dire à jouer les rabateurs sur les boulevards des Maréchaux à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. Lors de sa première mission, il recrute Khadija, la ramène au Palais mais ignore alors à quel point elle va l'obséder et le mener à sa perte. Cette rencontre va tout changer. Ce sera un véritable cataclysme vécu non seulement pour les deux personnages mais plus globalement par le Palais. Obnubilé par le corps de cette femme, notre jeune homme va aller plusieurs fois à sa rencontre que ce soit pour des raisons privées ou professionnelles. Avec sa présence naissent fantasmes et jalousie. Toutefois Dušan ne pourra pas la sauver de l'humiliation savamment organisée par le Prince et son cercle rapproché. Humiliation qu'il subira lui-même de plein fouet. Il sera après cette mésaventure recraché par le Palais comme un corps recrache tout élément toxique pour lui-même. "Le Palais a toujours raison. Raison de vous engloutir, membre après membre, raison d'exiger votre lâcheté, votre soumission, votre méchanceté. Aux uns, il demanade des attentes inutiles, aux autres es tâches impossibles."
Entre temps Dušan nous aura fait pénétrer dans les arcanes d'un palais qui s'offre aux parisiens comme un joyau mais qui en interne dissimule des pratiques inavouables et "un ordre figé dans une hiérarchie aberrante". Les employés y sont opprimés, toujours sous la surveillance d'un collègue ou d'un quelconque supérieur. Tout y est toujours sous contrôle : les personnes, les objets : "La vie du Palais obéit à sa propre loi. En période «HPP», Hors Présence Princière, les permanents - intendants soudanais, gestionnaires, assistants et vigiles - se promènent avec nonchalance dans les couloirs désertés, délaissent l'uniforme, se reposent des intrigues.Tout se tend lorsque la Princesse prend possession de ses appartements. Pour les centaines de grouillots et de suiveurs rappelés à la hâte commence le temps des nuits sans sommeil, des consignes ineptes, des doubles contraintes. Dusan, depuis son bureau, est censé cumuler les dons de physionomie et d'hypermnésie, reconnaître chaque visage, se souvenir des matricules et des identités."
Le règne de la terreur plane sur ce palais dont le fonctionnement ressemble plus à celle d'une prison qu'à celui d'un palace, à tel point que les employés en deviennent suspicieux et manipulateurs : "Le chauffeur de la Princesse, qui se fait appeler Miguel, est algérien. Au Palais, aucun chauffeur princier n'est maghrébin, surtout pas les Maghrébins. Mais Amzal a l'iris délavé et une peau blême, ce qui l'avait encouragé à se présenter sous un prénom latin à Othman - l'officier supérieur de la Princesse - et à s'inventer une honnête ascendance espagnole. Chacun, s'il veut conserver sa place au Palais, doit biaiser, se dissimuler, maîtriser les masques."
Et comme tout idiot, Dušan va pleinement et consciemment participer au bon fonctionnement de ce Palais jusqu'au jour où obnubilé par Kadhija il pensera davantage à lui qu'à ses employeurs. Bon petit soldat jusqu'alors, il va devenir un déserteur de la cause qui lui était imparti. "Dušan avait mis beaucoup de temps à comprendre que (dans la Palais) l'on y rétribue l'employé moins pour ses compétences que pour sa disponibilité, sa malléabilité, sa capacité à endurer la vacuité. Et plus on monte dans la hiérarchie, plus on doit exhiber son allégeance avec fureur". Cette fureur, il va finalement s'en servir pour sa propre cause : gagner le coeur et le lit de Kadhija dans un premier temps, défier ouvertement Elias et ses hommes ensuite. Toutefois il s'avère au fil des pages aussi narcissique et manipulateurs que ceux qui l'emploient. De plus il n'apprend rien de cette expérience au sein du Palais. Au contraire, il s'engage in fine au sein de la Maison, un bâtiment au fonctionnement en tout point identique à celui dont il vient de se faire éjecter.
Et comme tout idiot, Dušan va pleinement et consciemment participer au bon fonctionnement de ce Palais jusqu'au jour où obnubilé par Kadhija il pensera davantage à lui qu'à ses employeurs. Bon petit soldat jusqu'alors, il va devenir un déserteur de la cause qui lui était imparti. "Dušan avait mis beaucoup de temps à comprendre que (dans la Palais) l'on y rétribue l'employé moins pour ses compétences que pour sa disponibilité, sa malléabilité, sa capacité à endurer la vacuité. Et plus on monte dans la hiérarchie, plus on doit exhiber son allégeance avec fureur". Cette fureur, il va finalement s'en servir pour sa propre cause : gagner le coeur et le lit de Kadhija dans un premier temps, défier ouvertement Elias et ses hommes ensuite. Toutefois il s'avère au fil des pages aussi narcissique et manipulateurs que ceux qui l'emploient. De plus il n'apprend rien de cette expérience au sein du Palais. Au contraire, il s'engage in fine au sein de la Maison, un bâtiment au fonctionnement en tout point identique à celui dont il vient de se faire éjecter.
Il y a quelque chose d'irréel dans l'aventure vécu par notre personnage, quelque chose de l'ordre du roman d'apprentissage mais aussi du conte. Mais les deux genres étant pervertis et détournés, le narrateur compose sous nos yeux un récit amoral, un conte uniquement peuplé d'ogres bouffis d'orgueil qui se nourrissent de sexe et d'humiliation, un conte dans lequel les prostituées remplacent les princesses et dans lequel il n'y a point de prince charmant mais un homme possessif, torturé et impétueux devenu le proxénète du Prince. L'idiot du palais nous offre ainsi une version cauchemardesque des 1001 nuits. Comme Dušan, le lecteur y côtoie la manipulation, les secrets, la luxure et l'arrogance. Tous les personnages sans exceptions révèlent à un moment les aspects les plus inavouables de leur personnalité. Quelque chose de malsain règne dans ce palais et corrompt tous ses occupants sans exception.
Bruno Deniel-Laurent déploie sous nos yeux un premier récit plein de promesses, un roman d'apprentissage déroutant. Si Dušan apparaît au début du livre comme un personnage naïf prêt à s'intégrer et à faire face à un lieu étranger et hostile, inexorablement on le voit prendre de mauvaises décisions et n'apprendre de son apprentissage que les mauvais aspects c'est-à-dire l'art de manipuler et de mentir.
Malgré une fin qui me laisse dubitative, j'ai aimé ce récit, ses références littéraires (à Valéry et aux genres narratifs que sont les contes traditionnels et les romans d'apprentissages) et le style employé qui n'ont cessé de susciter ma curiosité. A découvrir !
Né en Mayenne angevine en 1972, Bruno Deniel-Laurent vit à Angers. Rédacteur en chef de feu la revue Cancer ! Collaborateur de Schnock et de La Revue des Deux Mondes, il est l'auteur d'un essai littéraire sur sa province natale, L'Anjou en toutes lettres (Siloë, 2011) et de Éloge des phénomènes (Max Milo, 2014). Par ailleurs, il a co-réalisé Cham, un film documentaire sur le génocide des musulmans du Cambodge et réalisé On achève bien les livres, consacré au pilon. L'idiot du palais est son premier roman.
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