Toni Morrison, Home, éds Christian Bourgois
Mon coup de coeur :
Home plonge d'emblée son lectorat dans l'Amérique des années 50 alors que la ségrégation (l'application des Lois "Jim Crow") est toujours en vigueur. Nous y suivons le personnage de Franck Money, vétéran de la guerre de Corée de retour chez lui complètement fracassé et en proie à des crises de démence mais motivé par un objectif bien défini : celui de retrouver et de sauver sa soeur Cee victime d'un "docteur Mengele" déterminé à mettre en application les théories eugénistes et qui a fait de son corps de femme noire le terrain d'expérimentations hasardeuses et dangereuses. Pour cela Franck doit non seulement quitter Lilly cette femme si volontaire qui l'aime mais aussi traverser tout le pays de Seattle à Atlanta puis Lotus -cette ville qu'il hait, "le pire endroit du monde "selon lui mais qu'il ne peut plus fuir. Ce voyage, il arrive à l'organiser grâce à un réseau d'entre-aide communautaire (composé notamment d'une amicale de femmes noires et d'un révérend) car même lorsque l'on est un médaillé de guerre voyager quand on est noir n'est pas chose aisée : les places dans les wagons réservés se font rares, la faim fragilise les corps et l'argent manque cruellement. Comme le souligne le révérend " Une armée où les Noirs ont été intégrés, c'est le malheur intégré. Vous allez tous au combat, vous rentrez, on vous traite comme des chiens. Enfin presque. Les chiens, on les traite mieux".
Mon coup de coeur :
Home plonge d'emblée son lectorat dans l'Amérique des années 50 alors que la ségrégation (l'application des Lois "Jim Crow") est toujours en vigueur. Nous y suivons le personnage de Franck Money, vétéran de la guerre de Corée de retour chez lui complètement fracassé et en proie à des crises de démence mais motivé par un objectif bien défini : celui de retrouver et de sauver sa soeur Cee victime d'un "docteur Mengele" déterminé à mettre en application les théories eugénistes et qui a fait de son corps de femme noire le terrain d'expérimentations hasardeuses et dangereuses. Pour cela Franck doit non seulement quitter Lilly cette femme si volontaire qui l'aime mais aussi traverser tout le pays de Seattle à Atlanta puis Lotus -cette ville qu'il hait, "le pire endroit du monde "selon lui mais qu'il ne peut plus fuir. Ce voyage, il arrive à l'organiser grâce à un réseau d'entre-aide communautaire (composé notamment d'une amicale de femmes noires et d'un révérend) car même lorsque l'on est un médaillé de guerre voyager quand on est noir n'est pas chose aisée : les places dans les wagons réservés se font rares, la faim fragilise les corps et l'argent manque cruellement. Comme le souligne le révérend " Une armée où les Noirs ont été intégrés, c'est le malheur intégré. Vous allez tous au combat, vous rentrez, on vous traite comme des chiens. Enfin presque. Les chiens, on les traite mieux".
Dès les premières lignes du récit, Franck nous apparaît comme un homme doublement traumatisé par une enfance misérable et violente et par l'absurdité de la guerre. Hanté par son passé, par des sons et des images qui resurgissent malgré lui, il effectue cette traversée dans le but (inconscient) de regagner conjointement une identité et une dignité mais aussi de solder définitivement un passé misérable dont il est involontairement le garant depuis qu'il a assisté impuissant à la mise à mort d'un grand-père noir qui refusait de quitter ses terres texanes alors que lui-même n'était qu'un enfant apeuré ne réalisant pas vraiment ce qui se déroulait sous ses yeux. Plus il se rapproche de son objectif et plus il en apprend sur lui-même et sur les hommes.
Toni Morrison n'hésite pas à utiliser les ressorts du conte et de la mythologie pour rendre cette odyssée encore plus prégnante. Elle fait de Franck et Cee des Hansel et Gretel mais aussi des petits poucets modernes dont l'histoire commence et se termine par la même scène terrifiante et qui sèment leurs petits cailloux à travers les Etats-Unis afin de mieux se retrouver et ainsi regagner leur demeure familiale ensemble. La narration, qui alterne alors passé et présent, rend compte de cette Amérique "White Only" mais elle permet surtout de "boucler la boucle". Le souvenir de la mise à mort du vieillard est la cause de tout le malheur familial avant de devenir la promesse d'un possible bonheur. Car c'est petit à petit, fragment par fragment que Franck retrouve la mémoire sans laquelle il ne pouvait être serein. La scène énigmatique qui inaugure le récit trouve finalement sa justification à la fin de celui-ci éclairant du même coup le désemparement de nos personnages centraux.
Si autour de Franck gravitent de sombres personnages comme la tante qui les a élevé sans amour ni bienveillance ou le médecin qui "emploie" Cee, il y a aussi de beaux personnages comme Lilly cette compagne digne et fidèle qui se bat quotidiennement pour conquérir les droits dont jouissent les blancs (je regrette d'ailleurs le peu de place /de pages qu'elle occupe dans le livre).
Toni Morrison n'hésite pas à utiliser les ressorts du conte et de la mythologie pour rendre cette odyssée encore plus prégnante. Elle fait de Franck et Cee des Hansel et Gretel mais aussi des petits poucets modernes dont l'histoire commence et se termine par la même scène terrifiante et qui sèment leurs petits cailloux à travers les Etats-Unis afin de mieux se retrouver et ainsi regagner leur demeure familiale ensemble. La narration, qui alterne alors passé et présent, rend compte de cette Amérique "White Only" mais elle permet surtout de "boucler la boucle". Le souvenir de la mise à mort du vieillard est la cause de tout le malheur familial avant de devenir la promesse d'un possible bonheur. Car c'est petit à petit, fragment par fragment que Franck retrouve la mémoire sans laquelle il ne pouvait être serein. La scène énigmatique qui inaugure le récit trouve finalement sa justification à la fin de celui-ci éclairant du même coup le désemparement de nos personnages centraux.
Si autour de Franck gravitent de sombres personnages comme la tante qui les a élevé sans amour ni bienveillance ou le médecin qui "emploie" Cee, il y a aussi de beaux personnages comme Lilly cette compagne digne et fidèle qui se bat quotidiennement pour conquérir les droits dont jouissent les blancs (je regrette d'ailleurs le peu de place /de pages qu'elle occupe dans le livre).
Au-delà de la tragédie narrée, Home est un formidable roman sur la rédemption et sur la capacité d'un homme à aller au-delà de ses limites afin de sauver un proche. Mais c'est surtout le récit d'une reconquête : celle de ses racines, de sa mémoire, de son humanité et de sa terre.
Malgré l'exigence réclamée par la narration, la tension dramatique finement ficelée et l'aspect incroyablement visuel et même parfois poétique du récit, celui-ci n'a rien d'intimidant. Au contraire, je regrette presque qu'il n'est pas été plus étoffé tant il m'a captivée. Home entrecroise des histoires bouleversantes, des destins maltraités et des personnages touchants et l'ensemble est magnifiquement orchestré. C'est le premier roman de Toni Morrison que je lis et malgré la maigre épaisseur de ce livre (150 pages) ce texte est dense et il contient tous les thèmes qui semblent si chers à son auteur : la conditions des afro-américains, la saga familiale faite de souffrances tant physiques que morales, la maternité ou le traumatisme dû à la guerre. Au-delà de deux destins individuels, Home évoque une certaine Amérique terrifié et terrifiante qui traite les noirs comme des bêtes sauvages et qui nourrit en son sein des personnes motivées par la peur et/ou la haine. Mais c'est aussi une Amérique capable d'évoluer grâce à des hommes comme Franck.
L'auteur :
Toni Morrison est une très grande dame des lettres non seulement américaines mais internationales. Prix Pulitzer en 1988, elle obtient en 1993 le Prix Nobel de Littérature et est encore à ce jour la seule femme noire à avoir reçu cet honneur. En plus de sa carrière d'écrivain, elle mène une carrière d'éditrice et de professeur de Littérature. Parmi ses romans les plus célèbres, il y a Beloved, Sula ou Love, love (éds Christian Bourgois). Le 29 mai 2012, elle a reçu des mains du président Obama la Presidential Medal of Freedom, la plus haute distinction civile américaine.
Et plus si affinités :
Lire Home et écouter la magnifique Billie Holliday chanter Strange Fruit :
(vidéo youtube mise en ligne par lametempsycose)
Et toujours plus :
et (re)voir Dans la chaleur de la nuit, ce film de Norman Jewison avec Sidney Poitier dont voici la bande annonce (puis si besoin est jeter un coup d'oeil sur sa présentation made in Télérama ici) :
(video mise en ligne sur Youtube par Solarisdistribution)
Et toujours toujours plus :
Voir Shadows de John Cassavetes dont voici un bref résumé :
Nous sommes à New York dans les années 50. Benny, Hugh et Lélia sont frères et sœurs issus de la communauté afro-américaine. Ils vivent modestement et partagent le même appartement. Alors que Benny passe ses journées à traîner dans les rues et les bars désireux de gagner sa vie comme trompettiste professionnel, Hugh tente pour sa part de faire carrière comme chanteur de jazz. Quant à Lélia, elle veut devenir écrivain. Tous trois veulent aussi rencontrer l'âme soeur. Le film raconte alors le chassé-croisé amoureux de ces trois personnages. Au cours d'une soirée, Lélia dont la peau est claire rencontre Tony un WASP avec lequel elle passe la nuit. Ne soupçonnant pas les origines de la jeune femme, ce dernier manifeste une gêne évidente lorsqu'elle lui présente ses frères qui ne veulent d'ailleurs pas de lui ni d'aucun blanc et le chasse sans ménagement. Je n'ai pas réussi à me procurer un extrait convenable de ce film. Mais si vous avez l'occasion de le voir, saisissez la ! En attendant voici un lien utile ici même.
ça donne très envie !
RépondreSupprimerMerci !
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