Michèle Lesbre, Ecoute la pluie, éds Sabine Wespieser
Mon coup de coeur :
Une femme, s'apprêtant à prendre le train afin de retrouver son amant de longue date, assiste à un tragique fait divers. Sur le quai, ce jour là, un homme lui sourit avant de se jeter sur les rails "comme un enfant, avec la même légèreté". Soudain sa vie bascule. Alors qu'elle devait rejoindre son amoureux dans "leur" chambre avec vue à l'hôtel des Embruns -une chambre témoin de leur passion et de leurs nombreuses retrouvailles- elle se retrouve dans l'impossibilité de prendre le train et préfère réfléchir à ce qui jusqu'à présent a donné sens à son existence. Immédiatement après ce drame, incapable de contenir ses émotions, elle quitte précipitamment la gare pour s'enfuir à travers les rues de la Capitale. Au fil de ses déambulations, sous une pluie battante, son esprit se met à ressasser le passé : la mort de son père tant aimé, ses amours chaotiques, ses déceptions politiques et personnelles, ses différents compagnonnages avec des lieux, ses diverses rencontres dont celle avec son amant photographe qui n'entend rien aux mots mais aussi son impossibilité à vivre durablement avec lui à Nantes... Tous les moments décisifs ou a-priori anodins de sa vie prennent à ce moment une autre valeur. Seule dans les rues parisiennes, l'allure avec laquelle elle se déplace rythme le flot de ses pensées et réciproquement. Finalement ce roman évoque une double errance physique et mentale dont la conclusion est sans appel : désormais il lui sera impossible de vivre de compromis et de faux-semblants. Et au lever du jour, alors que la pluie continue son oeuvre, elle se met à espérer et invite son amant à écouter la pluie c'est à dire l'éphémère, la magie de l'instant qui ne déçoit jamais. Après il saura qui elle est réellement.
En une centaine de pages, nous assistons à une déambulation existentielle. Les doutes de notre interlocutrice quant à son avenir sentimental et son incapacité à se contenter de ce qu'elle a s'amplifient au fil des pages. Ce saut dans le vide dans une gare où chacun s'affairait, notre narratrice le vit comme une vraie déflagration. Désormais rien n'est évident. Comment donner un sens à sa vie lorsque l'on est un témoin impuissant de la mort d'un individu ? Fragilisée, elle porte toutefois un regard aiguisé sur elle-même mais aussi sur notre société indifférente à son trouble et plus généralement au malheur des autres.
Ecoute la pluie est une longue confidence, une lettre ouverte faite de pudeur et de tourments, dense et poétique à la fois, qui rend admirablement bien le trouble de notre narratrice. Un roman que j'ai lu d'une traite et une lecture dont j'aime me souvenir.
L'auteur :
Michèle Lesbre vit à Paris. Elle a commencé à écrire des livres il y a une quinzaine d'années après avoir fait du théâtre dans des troupes régionales et enseigné. Sont parus chez Sabine Wespieser les titres suivants : Un lac immense et blanc, Sur le sable, Le canapé rouge (finaliste du prix Goncourt et lauréat du Prix Pierre Mac-Orlan et du Prix Millepage 2007), La Petite trotteuse (2005), Un certain Felloni (2004) et Boléro (2003). Elle est aussi l'auteur de ces livres : Victor Dojlida, une vie dans l'ombre (Noésis 2001, Sabine Wespieser 2013), Que la nuit demeure (Actes Sud 1999), Une simple chute (Actes Sud 1997), Un homme assis (Manya 2000) et La Belle nuit (Le Rocher 1991).
Et plus si affinités :
La lecture d' Ecoute la pluie m'a immédiatement rappelé ce film que j'ai vu il y a fort longtemps : Cléo de 5 à 7 réalisé par Agnès Varda (1962) avec Corinne Marchand dans le rôle principal. L'histoire se déroule à Paris et est filmée en "temps continu ou réel" sur pratiquement deux heures. Cléo est une jeune et très séduisante chanteuse de nature plutôt insouciante. Mais le cours de sa journée va mettre à mal sa frivolité. En effet Cléo est perturbée par une mauvaise nouvelle : elle se croit atteinte d'un cancer et attend fébrilement les résultats de ses examens. Il est 17h et elle doit récupérer ses analyses à 19h. Durant deux heures, pour tromper sa peur, elle essaie vainement de recueillir le soutien de ses proches. Malheureusement, elle se heurte inéluctablement à leur incrédulité ou pire à leur indifférence. Par la force des choses, Cléo mesure la futilité de son existence. Finalement, elle trouvera du réconfort auprès d'un militaire rencontré fortuitement au cours de ses déambulations parisiennes. De 5 à 7 h, de la rue Rivoli à Montparnasse, Cléo a vécu une journée éprouvante et finalement salvatrice. Tout comme Michèle Lesbre, Agnès Varda a su rendre non seulement les angoisses de son personnage avec finesse et justesse mais aussi la cruelle indifférence du monde extérieur qui continue de s'agiter malgré la peine de nos deux héroïnes. Pour en savoir davantage, n'hésitez pas à découvrir ici le blog d'un cinéphile (doctorbcinema).
(vidéo mise sur youtube par MultiLivio)
Dans la catégorie "femme désespérée déambulant dans les rues d'une grande ville", il y a le magnifique mais tragique Sue perdue dans Manhattan du réalisateur Omos Kollek.
Sue est une provinciale vivant seule à New York sans famille ni ami. Elle vient de perdre son travail et a dû faire hospitaliser sa mère atteint d'Alzheimer. Jeune femme totalement déboussolée, ultra sexy et au physique incroyable, elle arpente les rues sans but précis avant de s'en remettre au hasard pour oublier sa solitude et son mal être. Elle y fera bien entendu d'improbables rencontres.
J'ai trouvé ce film époustouflant de finesse et de pertinence dans sa manière de peindre le portrait de cette femme complexe et de révéler l'indifférence généralisée qui déferle dans cette mégalopole dans laquelle les gens se croisent voire se fréquentent sans réellement s'écouter ou se soucier les uns des autres. Je vous encourage à voir ce film fort, étonnamment féroce, au casting irréprochable avec notamment l'incroyable Anna Thomson véritable poupée de porcelaine prête à se casser au moindre choc. Et pour en savoir plus, c'est ici que ça se passe grâce aux Inrocks.
Voilà encore un livre que je vais m'empresser d'acquérir!
RépondreSupprimerQuant à Sue perdue dans Manhattan c'est l'un des plus beaux films sur la solitude et Anna Thompson y est en effet pour beaucoup avec cette beauté fragile qui fait qu'on ne se lasse de l'observer;
Je suis heureuse de t'avoir donné envie de lire ce roman. Il est tout simplement beau. J'aime ces livres a-priori faits de rien et qui au final enchantent et émeuvent.
RépondreSupprimerBien que je trouve la parenté entre "Ecoute la pluie" et "Sue perdue dans Manhattan" moins évidente qu'avec "Cléo de 5 à 7", j'avais tellement envie de me rappeler ce film et cette actrice. Je partage parfaitement ton avis à leur sujet.
J'ai lu ce roman il y a peu et je n'ai pas trop accroché, je n'avais d'ailleurs pas fait de lien avec Sue que j'avais beaucoup aimé.
RépondreSupprimerBonjour Sandrine !
RépondreSupprimerJe suis heureuse de te compter parmi mes lecteurs actifs.
Le lien le plus évident pour moi c'est celui qui existe entre "Ecoute la pluie" et "Cléo de 5 à 7". Rapidement au cours de ma lecture les images du film me sont revenues en tête. Je n'ai fait le rapprochement avec "Sue perdue dans Manhattan" que bien plus tard au moment où je rédigeais mon coup de coeur. Certains trouveront les liens assez ténus entre le roman et ce film mais ce qui m'a décidé à en parler (en plus du fait que je l'ai moi aussi beaucoup aimé) c'est qu'il y a un même schéma narratif : un fait traumatisant (le suicide d'un homme d'une part, la perte de son travail et l'hospitalisation d'un proche de l'autre) qui motive une errance "existentielle" à travers la ville (paris ou New York).
Finalement que ce soit le livre ou les deux films, tous parlent de solitude et même pour "Ecoute la pluie" et pour "Cléo de 5 à 7" de renouveau.
A bientôt !
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RépondreSupprimerEcoute la pluie commandé à ma libraire bretonne. Merci et bravo pour ce blog !
RépondreSupprimerMerci pour cette marque d'encouragement. J'espère que ce roman vous plaira autant qu'il m'a plu.
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