dimanche 7 juillet 2013

Le garçon incassable

Florence Seyvos, Le garçon incassable, éds de l'Olivier

Mon coup de coeur :
Aussi beau que soit le titre de ce roman il est trompeur car ce n'est pas d'un garçon incassable dont nous parle Florence Seyvos mais deux deux garçons inadaptés au monde environnant, deux corps meurtris et soumis aux regards apitoyés, curieux ou malveillants des autres, deux êtres meurtris toujours en équilibre précaire, deux garçons élevés à la force du poignet ... celui d'un père autoritaire et brutal. Et pour qui ils ne seront à jamais que des garçons et non des hommes.
L'un se nomme Henri. Il est le demi-frère de la narratrice. Handicapé, squelettique, garçon aux membres atrophiés et au cerveau endommagé et dont l'âge mental reste indéfini, Henri réussit pourtant grâce à la volonté (voire la rage) de son père et au soutien matériel et affectif de sa famille à acquérir une certaine autonomie. Ainsi au cours des années il arrivera à prendre les transports seuls, à apprendre à lire et à écrire, à aller au cinéma, à travailler, à tenir une "pseudo" conversation en récitant par coeur des phrases balises qu'il recrache selon les situations vécues.
L'autre est mondialement connu. Il s'appelle Buster Keaton et il un acteur rare et un acrobate hors pair dans l'histoire du 7ème Art. Surnommé "l'homme qui ne rit jamais" il a contribué au succès du cinéma burlesque en jouant les jeunes hommes maladroits, en "permanente inadéquation au monde", solitaire mais dont le langage corporel dégage une force et une poésie incroyables. Auparavant il fut une "chose" de 5 ans balancée comme simple projectile à travers la scène par son père qui lui avait collé "une poignée de valise sur (son) dos" afin de gagner en efficacité et de rendre son show plus spectaculaire. A partir de cet instant l'ensemble de sa carrière sera placé sous le signe de la chute.
Le premier maîtrise son corps à la perfection en le faisant voler, rebondir, tomber... quand Henri lui tente vainement de se libérer de son handicap subissant quotidiennement des séances de rééducations douloureuses et des mises en garde implacables de la part son père aimant mais sévère. 

En mettant en miroir ces deux enfances marginales, la narratrice devient le fil conducteur de ce récit tout autant que la porte parole de ces deux êtres fragiles "enfermés dans une bulle de solitude infranchissable"et dont la vie témoigne finalement d'une singulière insoumission. Grâce à ce montage parallèle digne des premiers films hollywoodiens, le récit restitue la force morale et physique qu'il a fallu à ces deux garçons pour traverser la vie et celle des autres tout en évitant les nombreux écueils qui les attendaient. De Los Angeles à Lyon, en passant par Abidjan, Paris ou le Havre, ces deux parcours se répondent et se nourrissent l'un de l'autre sans jamais se confondre. Il n'y a pas réellement de parallèle entre ces deux destins si ce n'est un mystère autour de deux corps en souffrance et de l'incroyable capacité de résilience mentale et physique de nos deux personnages.

Au-delà du drame vécu par Henri et Buster Keaton et leurs proches, ce récit fait d'humanité et de grâce redonne une place (un corps) et une voix à ces garçons vulnérables finalement devenus à leur manière des hommes extraordinaires. Florence Seyvos parle incroyablement bien des corps en danger, maltraités, qui résistent et qui offrent pour l'un une chance de réussir dans la vie et pour l'autre un frein à tout épanouissement. Elle réussit brillamment à faire du Garçon incassable un roman d'une rare justesse et d'une incroyable beauté.  Il serait dommage de passer à côté.


L'auteur :
Née à Lyon en 1967, Florence Seyvos est écrivain et scénariste (pour Noémie Lvovski, La vie ne me fait pas peur ou Camille redouble). Son roman Les apparitions (éds L'Olivier, 1995) lui a valu le Goncourt du premier roman et le Prix France Télévision.

Et plus si affinités :
Pour les amateurs ou les simples curieux, voici un florilège des performances les plus spectaculaires de Buster Keaton :

(vidéo mise en ligne sur youtube par Polyp3)

Et toujours plus :
Personnellement j'ai un faible pour La maison démontable (One Week) dont voici un large extrait :
En guise de cadeau de mariage, Keaton reçoit une dizaine de caisses contenant une maison préfabriquée qu'il essaie tant bien que mal à monter.

(vidéo mise sur youtube par gzegzol)

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