mercredi 22 mai 2013

La Pirouette

éditions La Table Ronde
Eduardo Halfon, La pirouette, éd. La Table Ronde

Mon coup de coeur :
A l'occasion d'un festival de musique, deux jeunes guatémaltèques (Lia jeune femme délurée qui a pour particularité de dessiner ses orgasmes et Eduardo surnommé Dùdù jeune professeur passionné de jazz et plus particulièrement de Thelonious Monk) font connaissance avec un énigmatique pianiste mi serbe mi gitan appelé Milan Rakic, un homme sans attache et pourtant attachant, un homme qui n'a été accepté et reconnu ni par les serbes ni par les manouches. Après 48 heures durant lesquelles les deux jeunes hommes ont scellé durablement leur amitié, Milan repart en tournée mais décide d'envoyer régulièrement des cartes postales -sans adresse d'expédition- d'un peu partout dans le monde, selon où les concerts et les festivals l'entraînent. Sur ces cartes point de banalités ou de bavardages inutiles, pour Milan elles deviennent le support sur lesquelles il réécrit et réinvente l'histoire des tsiganes.
Cependant un jour Eduardo reçoit une missive qu'il interprète comme étant un message d'adieu. " Il y avait une fois un garçon à moitié serbe à moitié tsigane qui voulait devenir un musicien tsigane, alors il a quitté sa famille, fait une pirouette au milieu d'un bois et disparu pour toujours entre les arbres de Belgrade". Ne pouvant se résoudre à cette situation, il part aussitôt à la recherche de son ami à travers les rues de Belgrade et ses quartiers interlopes n'ayant pour seuls indices que les cartes postées par Milan.

Ce roman nous transporte pour notre plus grand bonheur du coeur de l'Amérique latine aux quartiers les plus oubliés de Belgrade. J'ai dévoré ce livre fait de délicatesse, de sensualité et pourtant si fiévreux et puissant. Ce récit est plus qu'une histoire d'amitié. C'est une odyssée tout autant qu'un voyage spirituel, un plaidoyer pour la culture gitane, une réécriture de l'histoire de ce peuple, une initiation à la musique classique (Liszt), au jazz et à la musique tsigane, une ouverture sur le monde...

Drôle, mélancolique, mystérieux, ce livre invite à l'évasion et à la tolérance. De plus il donne rageusement envie d'écouter un peu de jazz, un extrait de la Rhapsodie Hongroise de Liszt ou n'importe quel morceau rythmé et envoûtant comme peut l'être ce roman.


L'auteur :
Ecrivain guatémaltèque né en 1971, Eduardo Halfon est une des plumes le plus prometteuses d'Amérique latine. La Pirouette a reçu le fameux prix espagnol José Maria de Pereda. En 2007 il est nommé parmi les 40 meilleurs jeunes auteurs sud-américains au Hay Festival de Bogota. En 2012 Halfon reçoit la bourse Guggenheim. Il vit actuellement aux Etats-Unis. La Pirouette est son deuxième titre paru en français gageons que ce ne sera pas le dernier tant ce jeune homme est talentueux.

Et plus si affinités :
Après avoir lu ce livre vous aurez peut-être une envie furieuse d'écouter la Rhapsodie Hongroise n°2 interprétée au piano par Paolo Marzocchi ?
Personnellement bien qu'il ne soit absolument pas question de cette oeuvre musicale dans ce récit, j'ai un faible pour la Cinquième Danse Hongroise de Brahms interprétée ici par György Cziffra.

mardi 14 mai 2013

La comtesse de Ricotta

édition Liana Levi
Milena Agus, La comtesse de Ricotta, éditions Liana Levi

Mon coup de coeur :
Nous sommes en Sardaigne sous un soleil de plomb et une luminosité éclatante. C'est dans un palais en ruine que vivent désormais trois héritières d'une grande famille à la splendeur révolue. Trois soeurs au tempérament différent mais qui vivent toute les trois avec une blessure, une faille qui les rend inaptes au bonheur.
Il y a Noemie -l'aînée psychorigide- qui met un point d'honneur à gérer la demeure en espérant un jour pouvoir lui redonner l'éclat d'antan et récupérer les appartements vendus. Sérieuse et angoissée, elle vit dans un passé idéalisé. Seule sa brève idylle avec Elias (le fils de son ancienne nourrice) va embellir sa vie et mettre en joie ses proches.
Maddalina -épanouie sexuellement et follement éprise de son mari- rêve obstinément d'avoir un enfant.
La petite dernière -appelée "la comtesse de Ricotta"par sa nourrice en raison de sa légendaire maladresse et de sa fragilité excessive- vit seule avec son garçon Carlino aussi inapte que sa mère à vivre en société. Comme Noemie, elle rêve aussi de vivre le grand amour et pense l'avoir trouvé en la personne de son énigmatique voisin.
Bien qu'insatisfaite et malheureuse, chacune d'elles se bat pour rendre sa vie plus agréable. Elles y arrivent par intermittence. Mais aux moments heureux succèdent des épisodes plus sombres. Cependant même dans l'adversité, elles persistent à croire en un avenir meilleur. Ce qui les rend toutes les trois encore plus attachantes. "La vie n'est qu'un mélange de bien et de mal, tantôt c'est l'un qui gagne, tantôt c'est l'autre, et ainsi jusqu'à l'infini."
La grande force de Milena Agus est d'avoir fait de ce court roman un récit qui explore différents thèmes (l'argent, le bonheur, la fratrie) et différents registres (l'humour, la poésie, la tragédie) tout en conservant la cohérence de l'ensemble.

Avec La Comtesse de Ricotta nous avons entre nos mains une saga familiale faite d'amour et d'incompréhension, de rêves illusoires et de petits bonheurs. L'excentricité des trois soeurs tout comme leur fragilité sont admirablement rendues.

Ce n'est peut-être pas le meilleur livre de Milena Agus, mais c'est un roman qui -le temps de sa lecture- apporte du réconfort et du bien être. On y retrouve avec plaisir le soleil éclatant qui baigne la ville de lumière et de chaleur, les parfums et les odeurs de la Sardaigne qui se diffusent au fil des pages, ces trois personnages féminins attachants de par leur fragilité et leur tenacité... Tout cela contribue à faire de ce récit un livre d'ambiance dans laquelle j'ai pris plaisir à plonger. C'est pour moi le plus important.

J'ai éprouvé un vrai bonheur à lire cette fable faite de folie douce et de drame existentiel.

Ce fut une lecture savoureuse.  Je vous la conseille vivement!


L' auteur :
Romancière italienne née à Gênes en 1959, Milena Agus est issue d'une famille originaire de Sardaigne et fait de cette île le lieu de ses intrigues narratives.
Professeur d'histoire et d'italien à l'Institut technique de Caligari, elle publie en 2005 son premier roman Quand dort le requin (le  deuxième paru en France). Mais c'est avec Mal de Pierre (paru en 2006 chez Liana Levi) qu'elle se fait une place parmi les écrivains italiens contemporains. Elle remporte avec ce titre le prix Relay du roman d'évasion en 2007.


lundi 6 mai 2013

Mon anthologie sur la littérature hongroise traduite


Portée depuis plusieurs années par Imre Kertész prix nobel de littérature 2002, Magda Szabo et sa Porte prix Femina étranger en 2003 et par Sandor Màrai -l'auteur hongrois le plus traduit et le plus lu à l'étranger, la littérature hongroise commence à fédérer un lectorat. Pourtant elle ne se résume pas à ces trois écrivains, véritables figures tutélaires en ce qui concerne la littérature magyare.

Au contraire celle-ci est riche d'autres auteurs et univers dont je souhaite parler et que j'espère vous faire aimer.

Mon ambition n'est donc pas de constituer une histoire de la littérature hongroise mais de proposer un florilège de livres qui m'ont marquée voire même enchantée. Voici d'une certaine manière mon panthéon:

(NB : Presque tous les titres évoqués ci-dessous ont fait l'objet d'un article dans lequel j'ai développé les raisons pour lesquelles ils m'avaient tant plu ou intriguée. Vous ne trouverez dans ce "panorama" qu'un bref résumé de ces coups de coeur. Cependant je laisse systématiquement le lien vers ces derniers derrière l'intitulé "si affinités". Il vous suffira de cliquer sur celui-ci pour y avoir accès.)


Les classiques:
Les Braises de Sandor Màrai : Avec ce roman, qui a révélé Sàndor Màrai en France, l'auteur nous offre un somptueux huis-clos sur le temps qui passe et qui met un terme aux amitiés d'autrefois et aux illusions qui nous ont tant aidés des années durant.
Quelque part dans une ville de province hongroise, Henri -Général à la retraite- attend la venue de Conrad son ami d'enfance qu'il n'a pas revu depuis une quarantaine d'années. Tandis que le premier échafaudait une vengeance, le second essayait de reconstruire sa vie ailleurs. En tout point opposé, les deux hommes avaient longtemps cru vivre une amitié indestructible jusqu'à ce qu'ils tombent malheureusement amoureux de la même femme. Elle épousera Henri mais semble avoir eu une relation avec Conrad. Le Général aimerait enfin en avoir la certitude...
Au cours de la lecture, nous découvrons qu'aucune réconciliation n'est possible. Ce dîner est un rendez-vous d'adieu. 
Ce que j'aime chez Sandor Màrai, c'est son talent pour révéler les troubles qui rongent intérieurement les personnages grâce à de très beaux monologues intérieurs, à  une atmosphère et un décor qui soulignent leur évolution ou leur personnalité.
Plus de Braises, si affinités


La Porte de Magda Szabo : Ce sublime roman peint sous nos yeux le face à face entre deux femmes qui n'auraient pas dû se côtoyer. Deux femmes que tout oppose et qui pourtant vont apprendre à se connaître, à s'amadouer et même à devenir amies. Emerence est la figure principale du récit, celle qui a inspiré Madga Szabo. Mais avant d'être cela, elle a longtemps été la femme de ménage voire la confidente dont l'attitude agressive laissait perplexe ses employeurs qui pourtant ne pouvaient se passer d'elle.
Au fil des pages,  Szabo révèle le passé d'Emerence afin d'y trouver des épisodes pouvant justifier un tel comportement. Plus qu'un portrait voir un hommage, l'auteur compose -devant nous et pour nous- une sublime hagiographie. Car sous ses airs de femme brusque et caractérielle Emerence est une personne sensible et altruiste que j'ai personnellement aimé rencontrer. J'ai dévoré ce roman tant ses personnages et l'intrigue sont passionnants. C'est d'ailleurs avec ce livre en partie autobiographique que Magda Szabo a connu un succès international. Elle a reçu pour ce titre le prix Betz Corporation aux Etats-Unis (1992) et le prix Femina étranger (2003). L'écriture classique et le rythme envoûtant de ce double portrait a assis la notoriété de cette femme de lettres.
Entrouvrir plus grand La Porte, si affinités

Pour tous:
Le Cerf-volant d'or et Alouette de Dezsö Kosztolànyi.
Le Cerf-volant d'or raconte la vie de lycéens et de leurs aînés dans une ville de province. Leur incapacité à se comprendre. L'auteur y narre les petites méchancetés et les grands rêves qui rythment leurs vies. Un très beau récit sur les désillusions et la perte des valeurs inculquées par quelques adultes esseulés. A travers le portrait du mesuré et brillant professeur Antal Novak, le narrateur témoigne de ces drames qui se jouent dans l'indifférence la plus totale.

Alouette de Dezsö Kosztolànyi : 

Comme le précédent, ce récit nous entraîne dans le quotidien d'une petite ville de province dont les habitants sont tout à la fois émouvants et ridicules surtout son intelligentsia et ses personnages excentriques qui rôdent autour de quelques endroits symboliques comme la petite place municipale, le grand restaurant et le théâtre. 

Parmi eux, nous rencontrons Alouette une vieille fille de 35 ans vivant chez ses parents qu'elle tyrannise avec ses caprices et sa vie bien réglée. Mais nous découvrons surtout la vie monotone de ces fameux parents qui vivent auprès de leur fille une vie sans ambitions ni volonté. Heureusement la jeune femme doit séjourner à la campagne et ce couple va réapprendre à vivre sans elle et essayer de retrouver une vie sociale. Dès lors, leurs différentes tentatives pour se sociabiliser vont s'avérer jubilatoires. 

Kozstolànyi a remarquablement su rendre l'aspect rituel de la vie des ces trois personnages. En peu de mots, il a réussi à retranscrire leurs vies sans envergure.
Comme chez Maupassant ou même Balzac point de sensationnel ici seulement un regard perspicace et des mots minutieusement choisis (et traduits). Chaque détail est savoureux et significatif. Et bien que drôle et moqueur l'auteur donne à ce récit une portée existentielle. 
Alouette, gentille alouette, si affinités

Fille de pierres de Cécile de Tormay:
Jella vit seule avec sa mère dans les montagnes du Karst à la frontière entre la Dalmatie et l'actuelle Croatie. Leur vie est rude et misérable. D'une incroyable beauté, elles sont jalousées par les villageoises, méprisées par le curé et maltraitées par les hommes. A la mort de cette mère qui avait fait tourner tant de têtes, Jella -menacée par les autres habitants- doit s'enfuir précipitamment à travers la vallée, la plaine et la forêt. En s'éloignant de son pays elle rencontre Pierre -un garde forestier plus âgé- et est recueillie par lui. Elle finit par l'épouser. Toujours aussi libre et aventureuse, Jella passe ses journées en forêt afin de tuer son ennui. Mais un jour elle rencontre André Retz le nouveau garde forestier et en tombe éperdument amoureuse. Elle se découvre alors jalouse et manipulatrice. L'issue ne peut qu'être  terrible...
Voici un récit surprenant et sensuel dans lequel l'auteur réussit à donner vie aux éléments inanimés de la nature, à rendre celle-ci si vivante et si présente qu'on arrive parfaitement à la visualiser et à la (res)sentir. Tout en respectant la complexité des personnages. J'ai été enchantée par la manière dont l'auteur à su rentre la beauté sauvage de Jella et de la nature.
Née à Budapest en 1878, Cécile de Tormay obtient le Grand Prix de l'Académie hongroise en 1914 pour son roman La Vieille Maison. Opposée au régime de Béla Kun, elle se retire dans les montagnes de la Matrà où elle décède en 1933.

Pour les amateurs de curiosités:
Ibolya ViragLa Légende de Pendragon d'Antal Szerb :
Voici un livre déroutant qui nous entraîne dans un univers de conspirations et de faux-semblants. La légende de Pendragon est un récit rythmé par de nombreuses intrigues toutes agréablement rocambolesques voire invraisemblables, mais c'est aussi un roman qui témoigne de l'érudition de son auteur tout comme de son goût pour la plaisanterie.
Hommage à la littérature gothique, ce récit déroule et détourne les poncifs du genre. Il y a Janos un charmant jeune homme cultivé et bibliophile expatrié à Londres qui se trouve soudainement embarqué dans une histoire hallucinante et parfois presque surnaturelle, un comte excentrique et mystérieux retiré dans un château perdu au Nord du Pays de Galles, une belle demoiselle, des complots, des traites, des espions, des monstres marins et des références à des manuscrits ésotériques...
Je me suis bien amusée en lisant ce livre (alors édité par Ibolya Viràg puis repris par Viviane Hamy) et je ne suis pas restée insensible à son charme désuet et à ses rocambolesques péripéties. Réjouissant !

Voyage au bout des 16 mètres de Péter Esterhàzy : 
Héritier d'une très grande famille de l'aristocratie hongroise (dont les collections d'art sont mondialement connues et ont été exposées à la Pinacothèque de Paris en 2011), Péter Esterhazy s'est depuis longtemps fait un prénom en tant qu'écrivain. 
Contacté par un journal pour rédiger des articles sur le Mondial de 2006, l'auteur part sur les traces de son passé, celui d'un passionné de foot. Mais ses souvenirs  vont l'entraîner à se rappeler de l'histoire tumultueuse de son pays.
En faisant de ce livre un témoignage libre de toutes contraintes formelles où se côtoient ses propres souvenirs, ceux de sa famille, les exploits de la grande équipe de Hongrie, le foot allemand et ses supporters, Ferenc Puskàs, Florian Albert (ballon d'or 1967), Thomas Mann, Albert Camus (lui aussi grand amateur de foot comme en témoigne Le premier homme, éd.Galimmard), la mentalité allemande, l'Histoire et l'anecdotique (comme développer des définitions piochées dans un dictionnaire), Esterhàzy nous offre un récit iconoclaste, passionnant, brillant et jubilatoire ! Un des plus remarquables livres écrits sur l'histoire hongroise et surtout sur le football et à travers lequel l'auteur retranscrit et communique sa ferveur, ses connaissances et son sens de la réparti.
Voici un livre difficile à résumer tant il est riche et déborde de générosité. Je peux seulement le recommander aux passionnés de foot, d'histoire ou aux amateurs de curiosités littéraires.
A l'image du footballeur qu'il fut, nous le voyons déborder, feindre, virevolter et prendre son lectorat à contre-pied avec panache et humour. La classe !
Jouer les prolongations, si affinités

Voyage autour de mon crâne de Frigyes Karinthy :
Journaliste, écrivain et humoriste hongrois, Karinthy utilise toute les facettes de son talent pour écrire un récit dans lequel il narre la découverte de sa tumeur au cerveau et les soins qui s'en sont suivis. D'un sujet grave l'auteur compose un récit drôle et captivant où l'absurde, les hallucinations, la tragédie et la réalité se répondent à tour de rôle. Usant d'un sens de l'humour féroce, il déroule toutes les étapes de sa maladie: les premiers symptômes lorsqu'assis à la terrace d'un café au coeur de Budapest il entend plusieurs fois le sifflement d'un train inexistant, les interminables examens médicaux, les lourd traitements, l'opération... 
Le voyage auquel nous convie l'auteur est éprouvant car nous assistons impuissant à une véritable autopsie des ravages causés par cette maladie mais aussi à une tentative pour conjurer la mort. 
Bien que le sujet soit grave, Karinthy y met beaucoup de légèreté et d'esprit. Un roman inoubliable !
L'auteur :
Romancier, humoriste et poète, Frigyes Karinthy fut une grande figure de la vie culturelle hongroise. Mais ce fut aussi un passionné de sciences à qui l'on doit la théorie des six degrés de séparation qui veut que toute personne peut être relier à n'importe quelle autre grâce à une chaîne de relations individuelles comprenant au plus cinq autres maillons. Pour accéder à un portrait plus détaillé, n'hésitez pas à fréquenter la page d' esprits nomades !


Epépé de Ferenc Karinthy (fils du précédent):
Ou comment faire lorsque l'on se retrouve dans une ville étrangère entouré de personnes qui parlent une langue parfaitement inintelligible et dont on ne peut se faire comprendre.
Epépé est une Odyssée moderne dans laquelle Budai linguiste -parti assister à une conférence- se retrouve emprisonné dans un pays dont il ne comprend ni la langue ni l'écriture. Nous assistons alors à ses vaines tentatives pour fuir ce pays puis finalement à sa résignation finale.
Je considère ce récit comme une éblouissante allégorie de l'histoire de son pays, la Hongrie longtemps prisonnière de l'emprise soviétique et dont les habitants sont semblables à cette foule qui avance à toute vitesse indifférente à ce qui l'entoure et dont s'extrait parfois un Budai qui s'épuise en tentant de s'enfuir n'importe où mais ailleurs.
Mais Epépé est  surtout un livre passionnant. Un roman né de l'imagination fertile dans son auteur et qui se situe à la lisière du surnaturel et du kafkaïen. Un livre qui nous amuse, nous effraie et nous questionne. Un chef d'oeuvre !
Retrouver son chemin, si affinités

Etoiles de Transylvanie d'Aron Tamàsi :
Voici un beau recueil de nouvelles réunies dans un bel écrin. Grâce à son auteur issu de la minorité Sicule, nous pénétrons dans un univers fantasque avec des personnages excessifs et au langage bien fleuri. Ce recueil comporte essentiellement trois catégories de nouvelles: les historiques, les voltairiennes et les folkloriques. Ma préférence va aux deux dernières.
Parmi toutes celles-là, je vous recommande particulièrement Tamàs Szàsz, Le Mécréant et Pas plus finaud qu'un Sicule. La première débute comme comme une plaisanterie et se termine dans la fureur et le désespoir. Ne supportant pas le démantèlement de l'Empire austro-hongrois, un Sicule préfère tuer sa femme et se donner la mort plutôt que de vivre sous le joug de la Roumanie.
Quant à la seconde nouvelle, elle raconte la malice d'un ancien voleur de bétail devenu l'ouvrier d'un paysan. Ni sa vieillesse ni ses nouvelles fonctions ne vont l'empêche de jouer un mauvais tour à un homme qui autrefois avait refusé de lui donner l'aumône.
J'espère que tout comme moi vous vous laissez guider à travers cet univers fait de folklore, d'espièglerie et de douleurs.
Voyager en Transylvanie, si affinités...






La Mélancolie de la résistance de Laszlo Krasznahorkai :
Ce roman débute par un sensationnel et époustouflant voyage en train et se termine dans le chaos le plus total. Entre les deux épisodes, nous assistons à l'effondrement moral et physique d'hommes (et de femmes) terrorisés et/ou assoiffés de violence dans une bourgade hongroise du sud du pays.
Et c'est avec virtuosité que l'auteur arrive à peindre l'extrême désolation qui touche cette petite ville dont le quotidien va être irrémédiablement perturbé par l'arrivée d'un cirque itinérant et de sa baleine momifiée.
Ce récit -au titre à la beauté énigmatique- peut être considéré comme une relecture de l'histoire de nombreux pays d'Europe Centrale ayant subit le joug d'un régime politique totalitaire.
Bien que difficile, je me suis laissée happée par ce roman admirablement visuel composé de longues phrases époustouflantes, de rythme, d'ellipses et ... d'humour, l'auteur n'hésitant pas à inclure des scènes drôles ou absurdes au milieu de toute cette noirceur.
Résister davantage, si affinités...

mercredi 1 mai 2013

Mélisandre ! Que sont les rêves ?

éditions La Table Ronde

Hillel Halkin, Mélisandre ! Que sont les rêves ?, éditions La Table Ronde

Mon coup de coeur :
Hoo (Howard), Ricky et Mélisandre (Mellie)-alors lycéens- ont scellé leur amitié lors d'un atelier d'écriture. Si Hoo est d'emblée tombé fou amoureux de Mélisandre, la réciproque ne fut pas immédiatement vraie. Avant de céder aux avances discrètes du timide Hoo, Mellie a vécu une passion amoureuse mais tulmutueuse avec leur ami commun. Ricky -le turbulent adolescent- a immédiatement su charmer la jeune fille. Et dans ce trio amis/amants, Hoo apparaît, à ce moment là, comme le personnage le plus fade. Mais loin du stéréotype du trio amoureux, les trois personnages restent unis. C'est sans rancoeur ni hypocrisie que Hoo assiste au bonheur de ses deux amis ne sachant pas alors que le temps va jouer en sa faveur ... tout comme les extravagances de Ricky que sa compagne supportent de moins en moins. Après avoir avorté clandestinement et dans des conditions terribles, Melli finit par rompre avec Ricky pour trouver réconfort et amour dans les bras -et le lit- de Hoo. Dès lors commence une somptueuse histoire d'amour faite de chair et de mots. La littérature tout comme la philosophie et la mythologie vont scander les moments importants de leur vie, l'auteur n'hésitant pas à parsemer généreusement son roman de références culturelles pointues. Et si notre personnage féminin porte un prénom si atypique c'est en hommage à un poème de Heine : Geoffroy Rudèl und Melisandre von Tripoli  dont l'un des vers dit : "Melisande ! Was ist Traum ?" Et quel sublime passage celui dans lequel Melli glisse amoureusement et malicieusement dans les livres de Hoo quelques billets du quotidien ou quelques mots coquins !
Seulement le temps qui passe trouble leur amour. L'insouciance d'antan devient la cause des déceptions d'aujourd'hui. Nous voyons alors cette vie de couple s'étioler progressivement . Les moments de joie et d'allégresse ont laissé place à des moments plus éprouvants et plus dramatiques. S'il y a encore beaucoup de passion entre les deux époux/amants, il y a aussi de l'amertume, des regrets, de la frustration, de la suspicion et surtout des non-dits. Melli -qui ne peut plus avoir d'enfant- finit par reprocher à Hoo de l'avoir laissée avorter. De son côté se sentant abandonné et injustement condamné, celui-ci finit par avoir une aventure qu'il regrette immédiatement et amèrement. "Et une nuit funeste s'étendit sur les infortunés mortels" (Hoo citant L'Iliade de Homère): en l'espace de quelques heures Hoo perd tout car il perd Melisandre.
C'est alors avec cette lettre -rédigée sous nous yeux- qu'il tente de se faire pardonner mais surtout de retrouver Mellie et de la garder près de lui.
Leur romance a permis à l'auteur de dérouler 25 ans d'histoire sociale, politique et culturelle américaine. 25 ans durant lesquels la chasse aux sorcières, la libération des moeurs, la guerre du Viêt-Nam et bien d'autres événements ont rythmé le quotidien de ces personnages que l'on voit grandir sous nos yeux. Les adolescents cultivés et bons élèves sont devenus des adultes piégés par leur situation familiale ou professionnelle et par les conventions qui régissent leur vie sociale. Seul Ricky a réussi un temps à s'échapper de cet enfermement consenti. Seulement à la suite d'un voyage initiatique en Inde, il reviendra avec le cerveau bousillé. L'adolescent -fier d'avoir des parents communistes- se fera plusieurs fois interner avant d'être retrouver mort au milieu de nulle part.
En bref, ce livre est bien plus qu'un roman d'amour ou un simple panorama de la société américaine. C'est une ode sur le temps qui passe et une magnifique toile sur laquelle l'auteur a peint des personnages tantôt élégiaques tantôt emportés. Mais c'est aussi un livre inspiré, enthousiasmant, d'une justesse et d'une grâce étonnantes. Mélisandre ! c'est tout cela à la fois et bien plus. C'est un livre qui fait du bien.

Je me suis laissée charmer par ce récit presque à mon insu. J'ai aimé les personnages au caractère bien marqué et cette histoire d'amour qui naît et grandit grâce à l'affection qu'entretiennent Hoo et Mélisandre pour les mots. Car si ce livre est un merveilleux hymne au sentiment amoureux, il est aussi un plaidoyer pour la Littérature et le pouvoir des Lettres.

C'est la raison pour laquelle ce récit prend la forme d'un longue lettre scandée par ce refrain incantatoire "Te souviens-tu Mellie ?" et dont le passage capital reste la sublime déclaration écrite secrètement par Hoo la veille de son mariage : 

"Mellie,
Au lycée, je pensais qu'une seule vie ne me suffisait pas. Je voulais faire un million de choses, aimer un million de femmes. Je voulais vivre un millier de vies. Maintenant, un millier me semble trop peu. Non parce que je veux toujours aimer un million de femmes mais parce que je veux t'aimer un million de fois.
Si nous avions qu'une vie à vivre ensemble, je la passerai avec toi dans la joie, en souhaitant encore davantage. Si nous avions dix vies à vivre, ou cent, j'en voudrais toujours plus. Si toi et moi pouvions renaître encore et encore, je voudrais que ce soit toujours toi, toujours moi, pour qu'à chaque renaissance nous soyons toujours ensemble. Si, après avoir vécu cent vies avec toi, j'apprenais que c'était la dernière, je me sentirais dupé. Mais si j'avais à choisir entre une vie avec toi ou mille sans toi, je choisirais celle-là, aussi courte soit elle.
Je la choisirais, encore et toujours.
Hoo".

L'auteur :
Né en Grande-Bretagne en 1939, Hillel Halkin vit aujourd'hui en Israël. Traducteur des grands auteurs de la littérature juive comme Amos Oz, il est aussi l'auteur d'un grand nombre d'articles sur l'identtié israélienne et sur la mémoire juive. Mélisandre ! Que sont les rêves ? est sa première oeuvre de fiction.
Dire que l'auteur de ce bijou littéraire est un homme âgé de 74 ans !


Le Baiser somptueuse peinture de Gustav Klimt
"Melisandre ! Que sont les rêves ?
Qu'est la mort ? Que des bruits vains.
La vérité appartient à l'amour seul,
Et, beauté éternelle, je t'aime".
Heinrich Heine, Romancero, éditions du Cerf