Mon coup de coeur :
Alouette nous plonge dans le quotidien d'une petite ville de province -Sarszeg- avec sa bourgeoisie locale tout à la fois émouvante et ridicule avec son intelligentsia et ses marginaux qui rôdent tous autour de quelques endroits symboliques comme la petite place centrale, le grand restaurant et le théâtre municipal.
Mais les passages les plus réjouissants du roman ce sont ceux consacrés à Alouette et à ses parents. Alouette est une vieille fille laide qui à bientôt 36 ans vit toujours chez papa-maman. Ces derniers se plient sans sourcilier à ses moindres désirs. Leur quotidien est par conséquent immuablement rythmé par des habitudes et les caprices de leur fille qui pourtant ne leur apportent aucune satisfaction. Cependant, profitant d'un court voyage de celle-ci, ils finissent par découvrir -pour mon plus grand bonheur- qu'ils subissaient depuis des années cette tyrannie et retrouvent rapidement le plaisir de vivre à nouveau en société. La vie stéréotypée de cette "bonne société" les séduit voire les enivre facilement tandis que leurs premiers pas en société sont d'un comique.
Hélas avec le retour de cette fille encore plus laide et plus imposante qu'auparavant tout fini par rentrer dans l'ordre ! "A tire-d'aile notre oiseau nous est revenu". Non pas que ses parents soient heureux de ce retour. Ils témoignent seulement de leur soulagement : ils vont pouvoir regagner leur quotidien sans surprise et sans exaltation. Quant à Alouette -qui porte ce surnom ridicule depuis son plus jeune âge- elle revient certes plus grosse mais surtout plus désespérée. Elle a définitivement saisie que seuls ses parents peuvent l'aimer et la supporter.
Kozstolànyi a remarquablement su rendre l'aspect rituel de la vie des ces trois personnages. En peu de mots, il a réussi à retranscrire la médiocrité de leurs existences. Comme chez Maupassant ou même Balzac point de sensationnel ici seulement un regard perspicace et des mots minutieusement choisis (et traduits). Chaque détail est savoureux et significatif. Et bien que drôle et moqueur l'auteur donne à ce récit une portée existentielle.
L'auteur :
raducteur, critique, poète, nouvelliste et journaliste, Deszö Kosztolànyi est connu en France pour ses romans. Outre les deux évoqués dans Le Bruit des Livres sont traduits en français Anna la douce et Néron, le poète sanglant (publié il y a peu par les éditions Non Lieu avec la préface de Thomas Mann). Auteur prolifique, il fut aussi le traducteur de Shakespeare, Rilke, Baudelaire, Paul Valéry et de nombreux poètes chinois.
Prosateur talentueux, il est souvent considéré en Hongrie comme l'écrivain le plus important du XXè siècle. Il fut pendant longtemps le principal rédacteur de la revue Nyugat (Occident). Cette revue fondée en 1908 est rapidement devenue au début du xxè siècle la tribune officielle pour des auteurs n'hésitant pas à renouveler la littérature tant dans le propos que dans la forme (c'est un peu l'équivalent hongrois de notre Nouvelle Revue Française). Né à Szabadka (dans une ancienne province austro-hongroise) où son père a officié comme professeur et directeur du lycée municipal, Kosztolànyi part étudier les Lettres à Budapest puis à Vienne avant de devenir journaliste puis écrivain. Ses livres révèlent son don pour retranscrire le grotesque et l'absurdité de la vie moderne, le quotidien étriqué de la vie provinciale et pour dévoiler le moment où un homme -aveuglé par ses convictions- s'écarte de ses valeurs et de ses croyances. Kosztolànyi fut considéré comme un maître par des écrivains aussi talentueux que Màrai ou Esterhàzy. Et reste de nos jours un des écrivains magyars les plus lus en Hongrie et en France il commence à fédérer autour de lui un lectorat fidèle.
Et toujours plus:
Du même auteur, je vous conseille également le poignant Cerf-Volant D'Or. Antal Novak est un professeur de sciences respecté et craint par ses élèves du fait de son savoir et de son autorité naturel. Il élève seul sa fille unique Hilda qui ne souhaite qu'une chose: quitter son père fin de vivre sa passion amoureuse avce le cancre du lycée Visli..
Athlète accompli et idole pour les jeunes de son âge, il voue une haine tenace à l'encontre de ce professeur. Il fait obstinément de celui-ci la raison de son échec aux examens.
Les incompréhensions réciproques vont précipiter les protagonistes dans une voie tragique. Blessé par le départ de sa fille, meurtri par les accusations de Visli, Antal Novak se donne la mort.
Le drame se noue alors dans l'indifférence la plus totale et abjecte des habitants de cette bourgade que l'on continue de voir vivre et s'agiter au jour le jour comme si jamais rien de grave n'avait eu lieu.
Comme dans Alouette ici il n'y a ni actions spectaculaires ni grands discours moralisateurs seulement le quotidien qui défile avec ses moments de joie et ses drames. Ici aussi les événements s'enchaînent naturellement donnant à l'intrigue un caractère tragique. Le sort s'acharne contre les personnages inéluctablement.
Et toujours toujours plus :
Il est à mon avis difficile de bien cerner l'homme de lettres que fut Kosztolànyi si l'on n'a pas lu ses textes courts, ne serait-ce que son autobiographie fantasmée -Kornél Esti- publiée chez Cambourakis (également éditeur du recueil récemment paru Cinéma muet avec battements de coeur) et qui reprend Le Traducteur cleptomane précédemment paru chez Viviane Hamy. Cette forme brève était devenue pour l'auteur la forme parfaite pour exercer son métier d'écrivain et celle qui révélait le mieux ses immenses qualités de prosateur. Mais elle lui permettait aussi d'"être à chaque page un être différent de lui-même, lui qui, en possession de mille destins virtuels avait la peine à s'en tenir à une seule vie."
Kornél Esti est une succession d'histoires dont le fil conducteur est ce personnage véritable double irrévérencieux et espiègle de l'auteur et dont on suit les (més)aventures faites de banalité ou au contraire franchement insensées, le tout dans un Budapest des années 20 follement attrayant. Les occasions de s'amuser et de se distraire ne manquent pas dans ce recueil où le fantastique, l'absurdité, la cocasserie côtoient le quotidien le plus ordinaire. Il y a aussi prétexte à réflexion voire à remise en question car insidieusement ces nouvelles nous interrogent sur notre humanité. Mais il y a surtout de quoi passer un bon moment de lecture.
Un dernier mot pour dire combien j'aime ce type de récit qui mêle le grave et l'absurde, le futile et l'essentiel. Et j'aime le ton que met l'auteur dans l'ensemble de ses textes et qui l'air de rien "balance".
Pour conclure cette page, je vous signale la parution récente chez la Baconnière d'un texte de Kosztolànyi Portraits qui a vu le jour grâce au travail d'Ibolya Viràg. Pour les plus curieux et pressés d'entre vous, vous trouverez un aperçu de ce recueil en allant ici.
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