Mon coup de coeur :
Waouh! Quel roman incroyable. Je ne m'attendais pas à être à ce point cueillie par une intrigue a-priori sombre et à me sentir aussi proche d'un personnage animé d'une telle énergie.
La sauvage nous amène à suivre les tribulations d'Anaïs, adolescente de 15 ans rebelle, blessée et pourtant rêveuse et dont la vie n'est jalonnée que de drames. Elle traîne derrière elle un passif plus que lourd : " une cinquantaine de déménagements, trois noms différents, née dans une maison de fous d'une moins que rien que personne n'a jamais revue " une trentaine de familles d'accueil et au moins autant d'arrestations pour petites et moyennes délinquances, la mort violente de la seule mère adoptive qu'elle ait aimée (mais qu'elle a retrouvée poignardée chez elle) et surtout la jeune fille est dès le début du roman fortement soupçonnée d'avoir entraîné le coma d'une policière après l'avoir tabassée.
Persuadée d'être l'objet d'une vaste expérimentation depuis sa naissance, Anaïs est placée au Panopticon un centre pour adolescents en situation précaire dans lequel elle va rapidement sympathiser avec des adolescents tout aussi blessés et abandonnés qu'elle et qui vont constituer sa véritable famille : celle du coeur. Mais contrairement à eux, elle risque gros. Si les policiers récupèrent au cours de leur enquête une quelconque preuve de son implication dans l'état de leur collègue, elle risque un enfermement plus radical dans un centre fermé et en isolement total jusqu'à ses 18 ans.
Retrouvée le jour de l'agression à moitié consciente et la jupe couverte de sang, Anaïs ne se souvient guère de ce qui s'est passé, seuls quelques bribes de souvenirs resurgissent de temps à autre. Toutefois elle se sait innocente et ne cesse de le clamer. Mais qui peut croire cette jeune fille tourmentée ? Peut-être Angus ce jeune éducateur social qui semble vraiment l'apprécier ?
Bien qu'il y ait beaucoup de rage en elle, Anaïs est loin du cliché de l'adolescente délinquante et droguée auquel on peut s'attendre. Son imagination fertile et son sens de la débrouille la rendent infiniment attachante et la sauvent de son quotidien sordide tout comme son intelligence, son culot et surtout sa sensibilité. Et son parlé quoique fleuri et irrévérencieux n'en est pas pour autant vulgaire. Comme la plupart des autres personnages d'adolescents dépeints dans ce récit, son apparente arrogance et sa sauvagerie dissimulent une sensibilité à fleur de peau. Tout dans la narration contribue à faire d'elle un personnage fort attachant -que l'on aimerait mieux protéger- et une jeune fille mystérieuse -que l'on aimerait davantage connaître. Anaïs peut être tour à tour douce et sensible, bagarreuse et hargneuse, paranoïaque ou rêveuse... L'auteur a su révéler les aspects les plus ambigus mais aussi les plus lumineux de cette jeune paumée. Tout comme il a su transcrire la démission des adultes plus préoccupés par eux-mêmes que soucieux de venir en aide à des jeunes en perdition.
La sauvage est un roman formidablement captivant dans lequel son auteur raconte le quotidien d'adolescents abandonnés par tous et surtout par une justice expéditive et des adultes indifférents voire condamnables. Non seulement ils ont une responsabilité certaine dans leur parcours de délinquants juvéniles mais encore ils les condamnent ensuite un peu trop systématiquement au lieu de leur venir en aide. Pour s'en rendre compte il suffit de noter le comportement d'Helen -l'assistante sociale d'Anaïs- plus préoccupée par son séjour en Inde, son avenir professionnel et son bien-être personnel qu'aux risques encourus par la jeune fille si elle est reconnue coupable. Cependant La sauvage n'élude pas pour autant les petits moments de bonheur et d'insouciance dont peuvent jouir ces jeunes à la vie désaxée et leurs petits arrangement pour rendre leur quotidien plus agréable. Ni sordide ni rempli de pathos, ce récit fait judicieusement alterner les moments de cruauté aux instants de joie et témoigne avec subtilité des peines et des espoirs qui nourrissent ces adolescents laissés sans repère ni affection. En fait, ce roman est comme les personnages qu'il décrit : plein de vie.
L'auteur a composé à la fois un récit grave et sensible -qui enchante bien plus qu'il n'attriste- et l'admirable portrait d'une jeune fille cabossée par la vie et qui pourtant déborde de ressources et fait preuve d'une énergie incroyablement positive.
J'ai été bluffée par ce roman et par Anaïs son personnage principal qui n'ont pas cessé de me surprendre agréablement.
L'auteur :
Jenni Fagan est diplômée de l'université de Greenwich. Elle vit à Edimbourg et travaille actuellement comme écrivain en résidence dans les hôpitaux et les prisons. Elle a auparavant publié de la poésie mais La Sauvage est son premier roman.
Et plus si affinités :
Pour avoir lu Surveiller et punir de Michel Foucault lorsque j'ai débuté en librairie, j'ai d'emblée eu envie de faire du Panopticon le sujet de cette rubrique.
Ce terme désigne un type particulier d'aménagement carcéral (comme les prisons, les asiles ou les hôpitaux) élaboré par le philosophe Jeremy Bentham en 1787. Lorsqu'il imagine ce principe, ce dernier mène alors une réflexion plus générale sur l'enfermement. Pour étayer sa thèse il s'inspire de plans d'usines mis au point précédemment pour une observation et une coordination efficace des ouvriers. Selon lui le panopticon permet non seulement une meilleure surveillance mais aussi un gain financier non négligeable. Cette conception architecturale moderne permet de voir sans être vu et de soumettre tous les "occupants" à une observation et un jugement continus. Les surveillants ne pouvant être vus, ils n'ont donc pas besoin d'être constamment à leur poste et peuvent laisser la surveillance aux surveillés.
Pour ce faire ce dispositif implique qu'à partir d'un bâtiment central -autour duquel sont disposées des chambres (ou des cellules) ouvertes et exposées au regard de tous- des surveillants surplombent l'ensemble architectural et voient chacun des individus sans être vus en retour. Les corps des occupants se détachent alors à contre-jour sur les fenêtres extérieures grâce à d'autres fenêtres donnant sur une cour intérieure.
En 1975 le philosophe français Michel Foucault reprend l'idée de Bentham dans son essai Surveiller et punir (Gallimard 1975). Pour lui le panopticon constitue un tournant important dans l'histoire carcérale. Avec son apparition la prison acquiert une visée "normalisatrice" : elle a maintenant pour fonction de favoriser le redressement moral des prisonniers, chacun apprenant à devenir son propre censeur. Il ne s'agit plus seulement d'observer des individus mais de les impliquer dans ce processus de surveillance généralisée. De fait cette prison moderne devient aussi une entreprise de culpabilisation.
Si le titre original de ce roman est The Panopticon c'est que sans en être véritablement le sujet ce modèle de prison en est un des éléments essentiels : "Ce bâtiment est une grande courbe, en forme de c, et le long de la courbe au dernier étage il y a six portes noires fermées à clé (...). En plein milieu du grand c, aussi haute que le dernier étage, il y a la tour de surveillance. Je lève les yeux. Il y a une fenêtre panoramique qui fait tout le tour au sommet et si on voit rien à travers la vitre, lui peut voir l'intérieur de chaque chambre, chaque étage, chaque salles de bains. Partout. Cet endroit sent l'expérience à plein nez (...). Les fenêtres de la tour de surveillance reflètent le soleil, les gros yeux d'insectes m'observent, et il est complètement évident que cette tour a même pas besoin qu'il y ait du personnel à l'intérieur, elle surveille - toute seule." C'est à partir de cet élément architectural qu'Anaïs reste en contact avec les autres adolescents et qu'elle nourrit sa paranoïa persuadée d'être la principale victime d'une expérimentation à grande échelle.
Ce terme désigne un type particulier d'aménagement carcéral (comme les prisons, les asiles ou les hôpitaux) élaboré par le philosophe Jeremy Bentham en 1787. Lorsqu'il imagine ce principe, ce dernier mène alors une réflexion plus générale sur l'enfermement. Pour étayer sa thèse il s'inspire de plans d'usines mis au point précédemment pour une observation et une coordination efficace des ouvriers. Selon lui le panopticon permet non seulement une meilleure surveillance mais aussi un gain financier non négligeable. Cette conception architecturale moderne permet de voir sans être vu et de soumettre tous les "occupants" à une observation et un jugement continus. Les surveillants ne pouvant être vus, ils n'ont donc pas besoin d'être constamment à leur poste et peuvent laisser la surveillance aux surveillés.
Pour ce faire ce dispositif implique qu'à partir d'un bâtiment central -autour duquel sont disposées des chambres (ou des cellules) ouvertes et exposées au regard de tous- des surveillants surplombent l'ensemble architectural et voient chacun des individus sans être vus en retour. Les corps des occupants se détachent alors à contre-jour sur les fenêtres extérieures grâce à d'autres fenêtres donnant sur une cour intérieure.
Image de la prison de Kilmainham Gaol (Irlande) et de sa cour intérieure victorienne (source : fr.wikipedia.org)
Si le titre original de ce roman est The Panopticon c'est que sans en être véritablement le sujet ce modèle de prison en est un des éléments essentiels : "Ce bâtiment est une grande courbe, en forme de c, et le long de la courbe au dernier étage il y a six portes noires fermées à clé (...). En plein milieu du grand c, aussi haute que le dernier étage, il y a la tour de surveillance. Je lève les yeux. Il y a une fenêtre panoramique qui fait tout le tour au sommet et si on voit rien à travers la vitre, lui peut voir l'intérieur de chaque chambre, chaque étage, chaque salles de bains. Partout. Cet endroit sent l'expérience à plein nez (...). Les fenêtres de la tour de surveillance reflètent le soleil, les gros yeux d'insectes m'observent, et il est complètement évident que cette tour a même pas besoin qu'il y ait du personnel à l'intérieur, elle surveille - toute seule." C'est à partir de cet élément architectural qu'Anaïs reste en contact avec les autres adolescents et qu'elle nourrit sa paranoïa persuadée d'être la principale victime d'une expérimentation à grande échelle.
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire